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Napoléon & Empire

Julien Marmont (1774-1852)

Blason de Julien Marmont (1774-1852)

Julien Marmont est un dentiste fameux de l'histoire de l'art dentaire français, mais il vient soudain de prendre une dimension toute nouvelle. Jusqu'à peu, le seul dentiste connu de Napoléon Ier était Jean-Joseph Dubois-Foucou (1747/1748-1830) qui a été aussi celui de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X.

Mais, il semble que Marmont a bien rencontré et soigné Joséphine de Beauharnais et Napoléon. La question est de savoir quand et a-t-il soigné Napoléon de façon récurrente ou ponctuelle. S'est-il enorgueilli de ce statut temporaire au point de s'en être attribué un statut permanent ?

Qui est Julien Marmont ? Dans son livre paru en 1839, L'esthioménie, procédé découvert depuis l'année 1807, contre toutes, en plus d'une étude scientifique, Marmont fait un état circonstancié sommaire de sa carrière et livre notamment le récit d'une rencontre importante, semble-t-il, mais sans lendemain compte tenu des événements. C'est donc Marmont qui parle dans les lignes ci-après.

Il commence à exercer l'art dentaire en 1800. Selon lui, il y a alors 14 dentistes à Paris. Il est le 15ème.

Toujours, selon Marmont, il découvre l'esthioménie en 1807, procédé qui consiste à utiliser un appareil spécifique de sa composition qui, grossièrement, consiste à étanchéifier la cavité de manière à éviter une diffusion iatrogène des liquides employés, conçus à base de substances animales et végétales, à tous les tissus, à appliquer ce liquide huileux dans la carie en le portant à une température élevée pour brûler les tissus cariés, et à refroidir aussitôt à l'aide d'une douche frigorifique, ce qui préserve la vitalité pulpaire.

Il invente un miroir spécifique qui attise la curiosité de Joséphine de Beauharnais. Il l'apprend par Mme Ristre, l'épouse de l'intendant de l'Empereur et amie de Joséphine. Marmont décide alors de lui faire fabriquer un miroir spécialement pour elle et de lui offrir. De ce jour, il devient son dentiste attitré. Napoléon étant alors empereur et toujours marié à Joséphine, il faut situer cet épisode entre 1804, date du sacre, et 1809, date du divorce de Napoléon avec Joséphine. Marmont ne mentionne Napoléon que, sous son titre d'Empereur. Il rencontre Joséphine au château de la Malmaison, celui de l'Impératrice, en présence de Napoléon.

A partir de ce jour, l'Impératrice consulte Marmont régulièrement. « Elle n'a plus, à sa partie supérieure que deux dents de sagesse qui supporte un râtelier beaucoup trop lourd, qui menace d'entraîner les deux seules dents qui lui restent. A l'inspection de sa bouche, j'ai été bien inspiré pour concevoir le moyen d'exécuter un râtelier cylindrique qu'elle pouvait monter avec la clé de sa montre, et qui lui conserva les deux dents de support en les raffermissant dans leur alvéole. L'Impératrice a été si reconnaissante de mes soins qu'elle m'a mis en rapport avec l'Empereur qui, comme elle, m'a témoigné beaucoup d'intérêt.

J'étais, depuis plusieurs années, chirurgien-dentiste de la vieille et de la jeune garde impériale, et après avoir esthioménisé plusieurs dents à l'Impératrice en présence de Napoléon, auquel j'ai fait la même chose, j'ai été nommé le chirurgien-dentiste-esthioménisateur des enfants de France et de l'Ecole Polytechnique. »

Comme Marmont le dit si bien, Napoléon est à l'écoute de tout ce qui peut être un bienfait pour l'Humanité, malgré ses préoccupations et ses visées. Aussi, un jour qu'il esthioménise les dents de Joséphine au château de la Malmaison, l'Empereur s'adresse en ces termes au dentiste : « « Monsieur Marmont, aujourd'hui que l'on peut compter sur l'efficacité de l'esthioménie pour arrêter les caries des dents, ne seriez-vous pas flatté de rendre votre procédé universel dans l'intérêt de la société ?

Trop heureux, Sire, lui dis-je, si je pouvais sous vos auspices, etc.

Eh, bien, 50 000 francs comptant, 6 000 francs en viager comme chirurgien-dentiste-esthioménisateur des enfants de France et la croix de la Légion d'honneur, cela vous va-t-il ? »

Je lui témoignai ma reconnaissance pour tant de bienveillance et il me donna aussitôt un mot pour me présenter au Garde-des-Sceaux, auquel je portai mon procédé sous cachet, mais les circonstances ayant amené un changement de gouvernement, le tout me fut rendu dans le même état. Je suis donc resté seul possesseur de mon secret. »

A côté de ce récit, Marmont, toujours dans cet opus de 1839, mentionne ses honoraires :

1 dent décariée par esthioménie (6 francs) ; si elle est aurifiée (5 francs), plombée (3 francs), séparée (3 francs) et égalisée (3 francs) ; dents passées au gaz (6 francs) ; saignée buccale (5 francs) ; 1 dent ligaturée (3 francs) ; dents nettoyées (selon l'état de la bouche) ; un flacon de bol d'Arménie (6 francs), de liqueur Marmont (6 francs) ou de mastic dentaire (5 francs) ; 1 boîte de poudre dentifrice (5 francs).

Il est à noter 2 choses essentielles : l'esthioménie n'a été vraisemblablement utilisée que par Marmont, car il en est peu fait état ailleurs, et est tombée en désuétude après sa mort, ce qui rend difficile, en l'absence de photos et de source secondaire, la description de ce procédé (d'ailleurs, il parle de « secret » qu'il a emporté avec lui) ; le dentiste vend ses propres bains de bouche et dentifrice, ce qui ne se fait pas aujourd'hui, et est interdit sur un plan déontologique, un professionnel de santé étant un soignant, pas un épicier.

Autres travaux littéraires de Marmont :

- Traité sur les maladies des dents, 1807 ;

- Odontotechnie ou art du dentiste : poème didactique et descriptif en 4 chants, dédié aux dames, 1825 ;

- L'esthioménie, procédé découvert depuis l'année 1807, contre toutes, 1839.

Autres inventions :

  1. Miroir odontoscopique (1803) ;
  2. Réformateur, instrument pour redresser les dents des enfants (1804) ;
  3. Procédé de cuisson des dents humaines pour détruire l'effet désagréable qu'éprouvent les personnes qui portent des dents naturelles et pour en prolonger l'existence (1811) ;
  4. Pinces pour resserrer les ressorts des dents artificielles (1817) ;
  5. Du gaz pour enlever le vernis verdâtre qui se forme sur les dents par les mauvaises exhalaisons qui s'émanent de l'estomac dans les digestions plus ou moins laborieuses (1817) ;
  6. De l'étau buccal au moyen duquel on lime les dents sans les ébranler, ni les agacer (1833).

Quel crédit accordé au témoignage fourni par Julien Marmont dans son livre L'esthioménie, procédé découvert depuis l'année 1807, contre toutes, paru en 1839, car il me semble qu'il convient de rester circonspect sur ce récit ?

- Absence de témoignage ou de source secondaire venant confirmer les dires de l'auteur ;

- Dans le travail de Pierre Baron paru à Amsterdam, il est fait un inventaire des dentistes officiant à Paris. Outre que le nombre de dentistes excède largement le chiffre 15, Marmont n'apparaît nulle part et Pierre Baron va nettement au-delà de l'année 1800. Pierre Baron estime à 34, les praticiens qui exercent dans la capitale cette année-là. Si Baron est un historien pointu, ce chiffre n'est évidemment pas exhaustif, ce qui implique donc que Marmont a très bien pu exercer effectivement à Paris. Toutefois, pourquoi n'est-il pas référencé alors que Baron se borne à citer les annuaires et almanachs de l'époque ? Mais, pourquoi ne pas le croire quand il affirme en avoir été ?

- Il y a plusieurs remaniements du gouvernement sous Napoléon, avec changement ou reconduite de ministres : deux en 1804, un en 1806, deux en 1807, un en 1808 et deux en 1809. Il y a une reconduite aux mêmes fonctions de ministre de la Justice le 18 mai 1804 et un changement en 1813, mais cette dernière date n'est pas possible puisque Napoléon a divorcé en 1809 ;

- L'éthioménie est un procédé dont je n'avais jamais entendu parler et sur lequel je n'avais rien lu auparavant, ni après d'ailleurs. Procédé dont Marmont est à l'origine, il a disparu avec lui. Quel est-il précisément ? Comment le figurer ? Cela semble difficile.

- En janvier 1805, Corvisart, premier médecin de l'Empereur, propose à Jean-Joseph Dubois-Foucou d'occuper la fonction de chirurgien-dentiste de l'Empereur sans traitement. Dubois-Foucou est cité pour la première fois dans l'Almanach impérial de 1806. A partir de cette date, Dubois-Foucou devient le dentiste officiel de Napoléon. Si le besoin s'en fait sentir, c'est lui, et personne d'autre, qui est appelé. Si Marmont a été le dentiste de Napoléon, c'est donc obligatoirement entre le 18 mai 1804 et mi-1805, date d'acceptation et d'entrée en fonction de Dubois-Foucou à son poste.

- Marmont a-t-il été dentiste systématiquement ou juste ponctuellement ? Il n'y a que peu de doute pour moi quant à ses soins dans la bouche de Joséphine. Sa description est trop précise. Alexandre de Beauharnais était dégoûté de Joséphine, sa femme, parce qu'elle n'avait pas un comportement assez sophistiqué à son goût et qu'elle avait des dents noires, et gâtées pour avoir trop mangé de sucre dans son enfance. Pourtant, elle utilisait brosse à dents et gratte-langue. A la fin de sa vie, il est même dit qu'elle n'avait plus de dents. En outre, on sait qu'il y a eu de nombreux nécessaires à dents au château de la Malmaison. Mais, vieillesse oblige, le séducteur qu'a été indéniablement Marmont – voir son livre intitulé Odontotechnie ou l'art dentaire : poèmes… dédié aux dames (1825), qui plaisait jeune, et cherche à plaire encore. Quoi de plus élogieux que d'être le dentiste attitré de Napoléon, ou de le devenir l'espace de quelques lignes ! Il affirme pouvoir parler, car Joséphine est décédée à présent et qu'il ne pouvait pas le faire de son vivant. Mais, elle est morte en 1814. Pourquoi avoir attendu 1839 et la 4ème édition de son livre pour parler ? Conjectures, spéculations, mais il convient de rester, à ce propos, circonspect.

- Joséphine, nous l'avons dit, a de mauvaises dents et est mariée à Napoléon de 1796 à 1809. Les bactéries de la carie sont les plus transmissibles entre toutes. Marmont fait état de l'usage de l'éthioménie sur Napoléon, ce qui sous-tend qu'il a traité des caries dans la bouche de l'Empereur avec ce procédé. Dubois-Foucou, son dentiste attitré à partir de 1805, exerce dans la bouche de Napoléon jusqu'en 1813. Ce dernier stipule qu'il n'a fait que des détartrages à Sa Majesté du début à la fin de sa présence à ses côtés. On sait aussi que Napoléon n'a connu de très sérieux déboires dentaires qu'à Sainte-Hélène. Tous les témoignages concordent sur ce plan. Dès lors, pourquoi des caries sous l'ère « Marmont » et pas sous l'ère « Dubois-Foucou » ? C'est invraisemblable. Spéculations certes, mais il me semble qu'il convient encore de demeurer prudent.

- Enfin, Marmont, suite à cet épisode, disparaît des tabloïds impériaux. Pourquoi ? Sous l'Empire, sous un régime à caractère totalitaire, soit ce récit est le fruit d'un montage en épingle, soit cela ressemble à une disgrâce. Pour quelles raisons ?

Remerciements

Cette notice biographique a été rédigée par M. Xavier Riaud, Docteur en Chirurgie Dentaire, Docteur en Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques, Lauréat et membre associé national de l'Académie nationale de chirurgie dentaire, Chevalier dans l'Ordre National du Mérite, Chevalier dans l'ordre des Palmes Académiques, médaillé d'honneur de la Société napoléonienne internationale, et mise en ligne avec son aimable autorisation.

Références bibliographiques pour cette notice

• Almanachs impériaux, Testu & Cie imprimeurs, Paris, 1805 à 1813.

• Baron Pierre, « Dental Practice in Paris », in Dental Practice in Europe at the End of the 18th Century, sous la direction de Christine Hillam, Rodopi (ed.), Amsterdam, 2003.

• fr.wikipedia.org, Ministres de Napoléon Ier, 2013.

• Marmont Julien, L'esthioménie, procédé découvert depuis l'année 1807, contre toutes, Chez l'auteur, 4ème édition, 1839.

• Riaud Xavier, Napoléon Ier et ses médecins, L'Harmattan (éd.), Collection Médecine à travers les siècles, Paris, 2012.

• Rousseau Claude (a), « Histoire de l'aménagement opératoire du cabinet dentaire – Le coffret d'instruments de chirurgie dentaire de Napoléon, l'énigme de son testament », in Actes de la Société Française d'Histoire de l'Art Dentaire, http://www.bium.univ-paris5.fr, sans date, pp. 1-5.

• Rousseau Claude (b), « Histoire de l'aménagement opératoire du cabinet dentaire – L'énigme posée par l'attribution à Louis XVIII ou à Charles X d'un « nécessaire à dents » de Pierre-François Grangeret », in Actes de la Société Française d'Histoire de l'Art Dentaire, http://www.bium.univ-paris5.fr, sans date, pp. 1-7.

• www.napoleonprisonnier.com, Portraits de Joséphine, 2006, pp. 1-8.