N & E
Napoléon & Empire

Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836)

Comte de l'Empire

Prononciation:

Blason de Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836)

Emmanuel-Joseph Sieyès naît à Fréjus, en Provence, le 3 mai 1748, dans une famille modeste que l'on présente parfois, à tort, comme noble.

Il fait ses études d'abord chez les Jésuites de sa ville natale puis à Draguignan dans un établissement de la Congrégation de la doctrine chrétienne. Tenté par une carrière militaire, il s'oriente cependant vers la prêtrise, sur le conseil de ses parents, très pieux et qui bénéficient de quelques relations dans le milieu religieux. Le petit séminaire de Saint-Sulpice, à Paris, l'accueille en 1765 puis celui de Saint-Firmin en 1770. Siéyès est ordonné prêtre en 1772. Deux ans plus tard, il obtient une licence de théologie et arrête là ses études.

Nommé en Bretagne en 1775 auprès de l'évêque de Tréguier, Monseigneur de Lubersac, Siéyès n'y réside que de façon intermittente, tout comme son supérieur, car c'est à Paris que se font les carrières écclésiastiques. La sienne (chanoine en 1778, chapelain d'une tante du Roi), lui apporte, sans être brillante, une sécurité matérielle suffisante pour lui permettre, en 1781, de céder à un frère cadet le bénéfice d'un second canonicat. Durant ces années, Siéyès représente le clergé aux Etats de Bretagne, ce qui lui donne une première expérience du fonctionnement d'une assemblée. Il prétendra en être revenu indigné de la façon dont était traité le Tiers-Etat.

En 1780, il suit à Chartres son évêque, devenu un ami, qui le nomme grand vicaire puis vicaire général et, à nouveau, chanoine. Siéyès poursuit parallèlement son éducation politique et juridique, d'abord en tant que commissaire à la chambre souveraine du clergé de France, poste qu'il obtient en 1786, puis, l'année suivante, comme membre de l'assemblée provinciale de l'Orléanais où il croise Lavoisier.

Durant les six derniers mois de l'année 1788, il écrit trois brochures dont la dernière, publiée d'abord anonymement au début de l'année 1789, va faire date. Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? est un immense succès. Les rééditions s'enchaînent, 30 000 exemplaires sont vendus, un million de personnes les lisent. Le fond du texte, extrêmement radical, dénie aux ordres privilégiés leur place dans la Nation, met la noblesse hors la loi et appelle les répresentants du Tiers-Etat à se constituer en Assemblée Nationale ; sa forme est brillante, ponctuée de formules chocs et provocatrices qui font mouche et restent en mémoire.

Il y a donc un homme en France écrit Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau à Siéyès le 13 février. Le désormais célèbre chanoine entre rapidement en rapport avec les hommes qui vont animer les premières années de la Révolution : Mirabeau, Talleyrand, Gilbert du Motier de La Fayette, Adrien Duport, les frères Lameth, Nicolas de Condorcet... Il fréquente également les salons et s'affilie à divers clubs, parmi lesquels la Société des Amis de la Constitution, dite Club Breton, qui deviendra le Club des Jacobins, dont il est l'un des premiers membres. Ses relations avec le duc d'Orléans sont moins avérées. Siéyès lui-même se défendra vigoureusement, sans jamais pouvoir s'en laver complétement, de l'accusation d'avoir été l'instrument de ce prince.

Après avoir tenté en vain de se faire élire par le clergé, Siéyès est finalement désigné par le Tiers-Etat de Paris comme son vingtième et dernier député, contre la lettre du réglement de l'assemblée élective et malgré les contestations qui s'ensuivent. Le nouvel élu rejoint les Etats-généraux à Versailles le 19 mai et, dès le 27, propose une motion invitant les représentants du Clergé à se joindre à ceux du Tiers. Cette bataille pour constituer une Assemblée Nationale en obligeant les deux groupes privilégiés à sièger avec le Tiers-Etat sous peine d'être exclus de la représentation est une première mais fondamentale étape de la Révolution. Sièyès y joue le premier rôle et en occupe en permanence l'avant-garde. Les principes qui sont finalement posés sont ceux que l'on trouve décrits dans ses opuscules.

Sièyés, devenu l'un des personnages les plus importants de l'assemblée, siège au Comité de Constitution. Son influence s'exerce vigoureusement sur la rédaction de la déclaration des droits, même si les projets qu'il présente ne sont pas acceptés en l'état. Le droit au travail, le droit aux secours et celui de réformer à tout moment la Constitution sont ainsi abandonnés.

Dans les mois qui suivent, les interventions de Siéyès sur les sujets qui viennent en discussion obtiennent plus ou moins de succès. Il appuie les décrets favorables aux Protestants et aux Juifs mais s'oppose en vain à la suppression sans rachat de la dîme ou à la confiscation des biens de l'Eglise. Son prestige s'en trouve largement entamé, même si l'abbé finit par voter la constitution civile du clergé, au demeurant sans jamais prêter le serment exigé des écclésiastiques. Il refuse également tout droit de veto au Roi ainsi que la mise en place d'un parlement bicamériste, mais n'est suivi que sur le deuxième point. Si la nouvelle organisation administrative de la France en départements lui doit beaucoup, ses projets de découpage sont dénaturés par l'assemblée. Il en va quasiment de même avec ses conceptions concernant une nouvelle organisation judiciaire. Enfin, sa position sur la liberté de la Presse, qu'il entend encadrer par la loi, est perçue comme liberticide.

Si bien que lorsque Siéyès est finalement élu à la Présidence de l'Assemblée, après plusieurs échecs, il s'agit plus d'une reconnaissance de son rôle éminent dans la Révolution que d'une véritable adhésion à sa candidature. Les idées portées par le club des Jacobins s'éloignent d'ailleurs de plus en plus des siennes. Siéyès finit donc par le quitter pour participer à la fondation de celui des Feuillants, en juillet 1791. Il ne fait désormais plus partie de l'avant-garde révolutionnaire mais s'est rapproché des modérés. A la séparation de la Constituante, en septembre, il y a déjà un certain temps qu'il ne prend plus guère part aux débats.

Pendant la Législative, Siéyès, retiré à Auteuil, entretient d'étroits contacts avec les députés Girondins.

Il ne se joint pourtant pas à leur groupe après son élection à la Convention comme député de la Sarthe ‒ il a aussi été désigné par la Gironde et l'Orne ‒ mais siège au Centre, dit aussi Plaine ou Marais. Sa politique semble être de ne pas se mettre en avant. Il vote pour la mort du Roi et contre l'appel au Peuple ; il refuse de se porter candidat au Comité de Salut Public quand le Comité de défense, dont il fait partie, prend ce nouveau nom et les nouvelles attributions qui vont avec ; il accepte la création du Tribunal révolutionnaire et les lois contre les émigrés ; il se tait ou est absent pendant les grandes journées du 3 mai et du 2 juin, sans même se joindre aux protestations ultérieures contre la mise en accusation de vingt-deux de ses collègues députés qui en est la conséquence.

Sa contribution majeure durant cette période est un projet d'enseignement gratuit présenté par le Comité d'Instruction publique qu'il préside et où siègent entre autres Pierre Daunou et Joseph Lakanal. Mais le projet est repoussé par la majorité Montagnarde aux yeux de laquelle Siéyès est suspect. Il est d'ailleurs exclu peu après de ce comité.

Pendant la Terreur, Siéyès se montre peu à l'assemblée et évite de s'opposer en rien à Robespierre, votant les principales mesures exigées par l'Incorruptible. Il parvient tout juste à sauvegarder sa dignité en évitant par un habile discours l'abjuration à laquelle doivent se prêter nombre d'anciens écclésiastiques. Son attitude pâtit pourtant de la comparaison avec le courage, et la fermeté dans le refus, d'un abbé Grégoire.

La chute de Robespierre ne doit rien à Siéyès mais le ramène au premier plan. Le 5 mars 1795, il est élu au Comité de Salut Public puis le 20 avril à la Présidence de l'Assemblée. Au Comité, où il constitue avec Merlin de Douai et Jean-François Reubell (Louis Otto et Karl Friedrich Reinhard sont chefs de division) la section diplomatique, il se montre adversaire déterminé de l'Angleterre et partisan de la politique des frontières naturelles. Il intervient ensuite dans les débats sur la nouvelle constitution. Les idées qu'il développe sont assez proches de ce que sera la Constitution de l'an VIII. Mais son projet est rejetté à l'unanimité. Siéyès, rancunier, sera désormais un adversaire déterminé du texte qu'on a préféré au sien. Son opposition ne l'empêche cependant pas de voter la loi qui prévoit que les deux tiers des nouveaux parlementaires devront être issus de la Convention.

Pas moins de dix-neuf départements en font leur représentant. Entré au Conseil des Cinq-cents comme député de la Sarthe, il y intervient sur la liberté de la Presse (dont il se méfie toujours autant), l'enseignement et les finances. Le 27 novembre 1795, l'Académie des Sciences Morales et Politiques l'accueille dans sa section d'économie politique. Il fréquente à cette époque le salon de Madame de Staël où il se lie d'amitié avec Benjamin Constant. Cela n'empêche pas Siéyès de critiquer avec force les illégalités commises dans la répression de la Conjuration des Egaux, dont les attentes sont à l'opposé du libéralisme d'un Constant, ce qui vaut à l'Abbé d'être suspecté de sympathie pour les Babouvistes.

Le 11 avril 1797, une tentative d'assassinat dont Siéyès est victime lui apporte un regain de popularité. Sans participer à la préparation du coup d'Etat du 18 fructidor an V, il l'appuie et encourage la répression qui suit. Le 21 novembre suivant, il est élu Président du Conseil des Cinq-Cents par la majorité fructidorienne.

Durant la Campagne d'Italie, Siéyès désapprouve à maintes reprises les actes de Bonaparte aussi bien les publics que les privés et pour finir les traités signés de sa propre autorité par le général victorieux. Siéyès ne s'en montre pas moins aussi empressé que tout un chacun autour du nouveau héros quand il rentre à Paris. Les deux hommes se rencontrent à plusieurs reprises mais on ne sait rien ni de leurs discussions ni de leurs arrières-pensées.

Réélu en 1798, Siéyès sollicite la place d'ambassadeur en Prusse. Il est nommé le 8 mai 1798 et, malgré les réserves exprimées par le gouvernement prussien, arrive à Berlin fin juin. Même si la Prusse reste neutre lors de la reprise des hostilités entre la France et l'Autriche, en mars 1799, l'ambassade de Siéyès, émaillée de divers incidents, n'est pas un franc-succès. Il faut dire que sa façon d'encourager en sous-main les menées subversives visant à établir des républiques en Prusse et dans diverses principautés allemandes ne sont pas de nature à améliorer son crédit auprès des autorités prussiennes.

A nouveau envoyé à l'assemblée en avril 1799 ‒ par l'Indre-et-Loire cette fois ‒ Siéyès est élu Directeur le 16 mai et rentre aussitôt en France. Ses relations avec ses collègues sont vite mauvaises. Dans la lutte qui oppose le Directoire et les Assemblées, Siéyès est clairement dans le camp de ces dernières. Il parvient finalement à imposer un changement de Directeurs et de gouvernement, plaçant un peu partout ses amis. Chacun est persuadé qu'il entend détruire le régime.

Celui-ci est alors dominé par les néo-jacobins qui contrôlent les assemblées. Le conflit éclate vite entre eux et le nouveau Directeur qu'ils ont porté au pouvoir mais qu'ils soupçonnent maintenant de vouloir rétablir la monarchie au profit du duc d'Orléans ou d'un prince allemand. Leur presse l'attaque, contestant même la constitutionnalité de son élection. Siéyès réagit en acceptant une démission que Bernadotte, ministre de la Guerre et extrêmement populaire parmi les néo-jacobins, n'a jamais offerte... Mais il faut des appuis au Directeur. Il rassemble autour de lui les modérés, prend contact avec Lafayette, peut-être avec Lazare Carnot, mais sans laisser connaître précisément ses intentions. Sans doute cherche-t-il surtout à préserver les acquis de la Révolution face aux risques contradictoires de contre-révolution et d'anarchie. Il se met donc à la recherche d'une épée, la moins longue qu'il se pût. Il pense à Barthélemy Catherine Joubert, qui est battu et tué à Novi. Il lui faut donc faire avec Bonaparte, arrivé à Paris le 16 octobre, et qui s'impose de lui-même.

Le coup d'état réalisé, Bonaparte neutralise rapidement son mentor en le couvrant d'honneurs. Second Consul provisoire, Siéyès reçoit la charge de choisir les trois Consuls définitifs et choisit bien. Il lui revient également de désigner les tribuns et les membres du Corps législatif, après quoi il devient le premier président du Sénat conservateur. Enfin, en récompense de ces travaux, la République reconnaissante lui offre le domaine national de Crosnes. C'est l'étouffer sous les libéralités. Même ses amis lui en veulent d'accepter ce qui apparaît comme un salaire pour avoir vendu la République à Bonaparte.

Ces amis, justement, se montrent rapidement les opposants les plus remuants au régime qui se met en place. Bonaparte fait donc surveiller Siéyès tout en le ménageant. Mais le vieux révolutionnaire se tait lors de l'épuration du Tribunat, en janvier 1802 et ne vote pas contre l'Empire en 1804. Il n'est même pas certain qu'il soit l'un des deux abstentionnistes.

Il passe les années suivantes dans une quasi retraite. Il en sort pour devenir l'un des sept grands-officiers de la Légion d'honneur en 1804, Comte en 1808, Grand-Croix de l'ordre impérial de la Réunion en 1813.

En 1814, Siéyès signe l'acte de déchéance pris par le Sénat le 3 avril sans avoir participé aux intrigues qui l'ont précédé. Il se tient ensuite à l'écart pendant la première Restauration sans être inquiété jusqu'à la nouvelle du retour de l'Empereur. Soupçonné alors d'en être l'un des instigateurs, il est placé sous contrôle de la police et exclus de l'Institut.

Pendant les Cent-Jours, Napoléon le nomme pair de France, sans se soucier que le nouveau promu se soit toujours prononcé contre le principe d'une chambre haute et l'hérédité des charges et des honneurs.

Après la seconde restauration, Siéyès s'exile de lui-même à Bruxelles, où il fonde, avec Jean-Jacques Régis de Cambacérès et Dominique-Vincent Ramel-Nogaret, ancien ministre des finances du Directoire, une caisse de secours pour les exilés sans ressources. A l'exception de Jacques-Louis David, qui peint son portrait en 1817, le vieux révolutionnaire fréquente cependant peu ses pairs, nombreux dans la ville. En 1818, les deux fournées de grâces accordées à des régicides ne l'incluent pas. Il lui faut attendre la Monarchie de Juillet pour rentrer enfin en France. En 1832, son siège à l'Institut lui est rendu.

Siéyès meurt le 20 juin 1836. Sa mort passe à peu près inaperçue du grand public. Ses obsèques, civiles, ont lieu deux jours plus tard et il est inhumé dans la 30ème division du cimetière du Père-Lachaise  Tombe d'Emmanuel Siéyès.

"Emmanuel-Joseph Sieyès, comte de l'Empire" peint à Bruxelles en 1817 par Jacques-Louis David (Paris 1748 - Bruxelles 1825).

"Emmanuel-Joseph Sieyès, comte de l'Empire" peint à Bruxelles en 1817 par Jacques-Louis David (Paris 1748 - Bruxelles 1825).
Franc-maçonnerie : Probablement franc-maçon, Siéyès aurait fréquenté diverses loges : "Les Amis devenus Frères" à l'Orient de Fréjus avant la Révolution, puis à Paris la Loge "des Neuf soeurs" (dite loge des Philosophes) et la Loge de la rue du Coq-Héron.

La déclaration d'une effrayante froideur qu'on lui prête lors du jugement de Louis XVI : La mort, sans phrases, n'est pas attestée par le procès-verbal de séance.

Les fameux Dropmore Papers, issus de l'officine du comte d'Antraigues, et qui présentent Siéyès comme l'instigateur de la Terreur et Robespierre comme sa marionnette ne sont intéressants que par les informations qu'on peut en tirer sur les buts poursuivis par d'Antraigues lui-même.

L'un des premiers actes de Siéyès Directeur avait été d'annuler l'ordre donné par un de ses précécesseurs d'aller rechercher Bonaparte en Egypte. Mais le futur Premier consul s'était déjà mis en route de lui-même...

Autres portraits

Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836)
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"Emmanuel Joseph Sieyès au temps de la Révolution Française". Gravure de la fin du XIXème siècle.
Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836)
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"Emmanuel Joseph Sieyès". Gravure du XIXème siècle par William Henry Mote (St. John Horsley Down, Southwark, Angleterre vers 1803 - St. Johns, Middlesex, Angleterre 1871).