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Napoléon & Empire

L'Université impériale

Mise en place de l'Université impériale et organisation

Dans l'esprit de Napoléon Bonaparte, l'enseignement est du ressort exclusif de l'état. Dès les premières années du Consulat, il envisage de rassembler l'instruction publique tout entière dans une unique structure. La loi du 11 floréal an X, par laquelle sont institués les lycées, est encore assez éloignée de cet idéal. L'enseignement primaire, en effet, y est laissé à la charge des communes – sous la surveillance d'un sous-préfet toutefois. Le premier degré du secondaire, bientôt baptisé collège, peut pour sa part soit revenir également aux communes soit même être concédé au secteur privé.

Antoine-François Fourcroy, après avoir participé activement à la rédaction de cette loi et assuré sa présentation devant le Corps législatif, devient le principal collaborateur de l'Empereur dans cette entreprise de réorganisation de l'enseignement qui tient particulièrement à coeur au souverain. Le sujet offre en effet à Napoléon l'occasion de donner une couleur particulière à son régime. Comme il le dira quelques années plus tard : les lettres, les sciences, le haut enseignement, c'est là un des attributs de l'Empire, et qui le distingue du despotisme militaire.

La première étape s'attache à organiser le personnel chargé de cette mission particulière. Le 10 mai 1806 est promulguée une loi relative à la formation d'un corps enseignant, sous le titre d'Université impériale. Les trois articles qui la composent prévoient la création d'un corps chargé exclusivement de l'enseignement public dans l'Empire. Ses membres contracteront des obligations civiles, spéciales et temporaires sur lesquels nul détail n'est donné, si bien que ce sont en fait les décrets des 17 mars et 17 septembre 1808 qui donneront à l'institution ses contours définitifs en organisant la centralisation du système éducatif, nécessaire à sa rationalisation.

L'Université impériale devient responsable de l'enseignement public dans l'Empire. Elle est en principe administrativement autonome, sous la direction d'un grand maître assisté d'un chancelier et d'un trésorier. Tous trois sont nommés et révocables par l'Empereur. La direction de l'Université comprend également les inspecteurs généraux, dont la nomination est du ressort du grand maître, et un conseil de trente membres dont il fait partie, tout comme ses deux subordonnés immédiats.

Il n'y a plus qu'un corps enseignant unique. Tous ses membres ne sont pas fonctionnaires mais tous, quel que soit leur statut, sont tenus à des obligations envers l'Etat. Le décret du 17 mars contient tout un système disciplinaire qui prévoit des sanctions étagées allant des arrêts à la radiation.

Pour faire fonctionner cette institution, le grand maître dispose d'une administration centrale importante. Elle se cpmpose du secrétariat particulier du grand maître, d'une chancellerie, d'une caisse générale, d'une division chargée des questions éducatives, divisée en trois bureaux, d'une autre pour les affaires financières, qui en comprend quatre. Un architecte, un graveur et un imprimeur complètent le dispositif.

Plus près du terrain, les recteurs, secondés par des inspecteurs et un conseil de dix membres nommés par le grand maître, gèrent les trente-deux circonscriptions (dénommées académies) entre lesquelles est partagé le territoire de l'Empire.

Les officiers de l'Université ne peuvent remplir d'autres fonctions, publiques ou privées, sans l'accord du grand maître.

Les bâtisseurs de cette administration n'ont pas oublié de la doter de ressources conséquentes, nécessaires pour maintenir à flot ce grand vaisseau. 400 000 francs de rentes lui sont affectées, par inscription au grand-livre de la Dette publique. Elle perçoit en outre des droits sur les examens ou la collation des grades, et est habilitée à recevoir des dons et des legs. Enfin, le vingtième de l'écot payé par chaque élève de chaque école dans tout l'Empire lui est affecté.

Le système est réformé par décret impérial du 15 novembre 1811. La poursuite du développement de l'enseignement privé en est la cause principale, ainsi que la proximité trop grande, au gré de l'Empereur, entre Fontanes et l'enseignement secondaire catholique. L'Etat récupère à cette occasion certaines prérogatives accordées à l'Université et en profite pour fixer des limites plus étroites à l'enseignement secondaire privé.

Cependant, malgré sa taille et l'étendue de ses prérogatives, l'Université impériale reste sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et son chef ne sera jamais l'égal d'un ministre. Napoléon le rappellera à plusieurs reprises au grand maître.

Les différents types d'établissements

Tous les établissements d'enseignement de l'Empire sont soit directement gérés, soit contrôlés par l'Université impériale. Ils se répartissent entre les catégories suivantes :

  1. Les écoles primaires.

    Y sont enseignés la lecture, l'écriture et les premiers rudiments de calcul. Un décret de 1811 indique qu'il faut veiller à ce que les maîtres ne portent pas leur enseignement au-delà.

    Elles restent à la charge des municipalités, qui peuvent se grouper pour en ouvrir. Maires et conseils municipaux choisissent les maîtres, qu'ils doivent loger, et fixent leurs émoluments. Ceux-ci sont cependant payés par les familles. Ils sont le plus souvent trop bas pour assurer un recrutement de qualité et obligent les enseignants à recourir aux leçons particulières pour améliorer leur ordinaire. Ces raisons expliquent le développement insuffisant de ce niveau d'enseignement. 31 000 établissements accueillent 900 000 élèves environ vers la fin de l'Empire. Cela ne représente que vingt-cinq pour cent de la classe d'âge concernée par ces écoles.

  2. Les pensions.

    Elles appartiennent à des maîtres indépendants qui y dispensent des études moins fortes que celles des institutions.

  3. Les institutions.

    Ce sont des écoles tenues par des instituteurs particuliers et dont le niveau des études dispensées est proche de celui des collèges.

  4. Les collèges

    Ils sont aussi appelés écoles secondaires communales. Leur création remonte au décret du 1er mai 1802. Les élèves commencent à y apprendre les langues latines et françaises, ainsi que les premières notions de géographie, d'histoire et de mathématiques.

    Leur ouverture est soumise à une autorisation gouvernementale, renouvelable chaque année, mais elle peut être accordée à une commune comme à un particulier. D'abord laissé au libre choix du directeur, le recrutement des enseignants est à partir de 1803 géré par un bureau d'administration, obligatoire, qui comprend le sous-préfet, le maire, le procureur, le juge de paix et des représentants du conseil municipal. Les nominations qu'il envisage sont ensuite soumises à une autorité supérieure : ministre de l'intérieur jusqu'en 1808, grand maître de l'Université par la suite. En contrepartie de cette perte d'autonomie, l'Etat accorde à ces établissements diverses libéralités, telles que mise à disposition d'un local, places gratuites dans les lycées pour les meilleurs élèves, primes aux maîtres. Le même décret définit l'uniforme des élèves. En 1806, selon Fourcroy, on compte environ 750 de ces écoles, pour moitié privées, pour moitié communales, et quelque 50 000 élèves y étudient.

    En 1808, les écoles secondaires sont rebaptisées collèges et incorporées à l'Université impériale. En 1811, elles sont divisées en deux catégories selon le degré d'enseignement qui y est dispensé. L'habit des élèves passe à cette occasion du vert au bleu.

  5. Les lycées.

    Les études abordées au collège y sont approfondies. S'y ajoutent la rhétorique, la logique et des notions de mathématiques et de physique.

    Ils sont créés par la loi du 1er mai 1802, et remplacent les écoles centrales mises en place par la Révolution. Il est prévu que l'état entretienne un lycée par ressort de tribunal d'appel. Les disciplines enseignées sont les langues anciennes, la rhétorique, la logique, la morale, les mathématiques et la physique. Chaque lycée doit compter au minimum huit professeurs, un proviseur, un censeur, et un procureur chargé de l'intendance. Ils sont tous nommés par le gouvernement. Le préfet du département dans lequel se trouve le lycée préside le bureau d'administration, où l'on retrouve également les présidents des tribunaux locaux. Trente cinq établissements existent en 1808, quarante cinq à la fin de l'Empire, dont quatre à Paris.

    La discipline y est sévère. Les élèves portent l'uniforme et sont organisés en compagnies (dotées de sergent et de caporaux) qui pratiquent des exercices militaires. Le meilleur élève de chacune d'elles, investi du grade de sergent-major, la commande. A partir de 1803, l'instruction religieuse entre au programme et chaque établissement se dote d'un aumonier.

    Trois sources alimentent les lycées : les écoles secondaires ou collèges, dont les élèves peuvent être admis à l'issue d'un concours, les "éleves nationaux" qui sont des bénéficiaires de bourses d'état, les enfants de parents suffisamment fortunés pour les y placer en pension.

    Un décret de 1809 modifie à la marge l'organisation des lycées. Le bureau d'administration est remplacé par le conseil académique.

    En 1811, le nombre des lycées prévus dans l'empire est porté à cent.

  6. Les facultés.

    Elles remplacent les écoles spéciales créées par la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802). Elles délivrent un enseignement approfondie dans cinq disciplines : théologie, droit, médecine, sciences (mathématiques et physique) et lettres. Leur direction est assurée par un doyen, choisi par le grand maître dans le corps des professeurs. Les premiers professeurs sont désignés par ce même grand maitre mais il est prévu de mettre à l'avenir ces postes au concours. Le baccalauréat, la licence et le doctorat sont décernés par les facultés. En 1814, les facultés comptent 6 131 étudiants : plus de 1 500 en droit, 1 332 en lettres, 1 1194 en médecine, 326 en sciences.

Les écoles normales de Paris et des départements, placées en dehors du système général de l'éducation, forment les maîtres et les professeurs. La première ouvre à Strasbourg en 1810. Celle de Paris accueille 300 étudiants.

Les principaux cadres de l'Université impériale

Le grand maître

Ses prérogatives sont importantes. Il préside le conseil de l'Université. Il nomme les inspecteurs généraux, les recteurs d'académie ainsi que les inspecteurs et les membres des conseils qui les assistent. C'est lui qui décide des nominations comme des promotions aux chaires des collèges et des lycées de même qu'à leurs postes administratifs. Il place dans les lycées les élèves nationaux (ceux dont la scolarité est payée par l'Etat). L'ouverture des établissements d'enseignement est soumise à son autorisation et il a la liberté de les inspecter. Il est en droit d'infliger des sanctions aux membres de l'Université. Il ratifie les résultats des examens et c'est en son nom que sont conférés grades et titres.

Il est également garant de la bonne gestion administrative et financière de l'Université. Il surveille son activité, ses dépenses, ses recettes et rend chaque année plusieurs rapports en attestant à l'Empereur : état des établissements d'instruction, état des officiers des académies et de l'Université, tableau d'avancement du corps enseignant.

Le 17 mars 1808, Louis de Fontanes est nommé grand maître de l'Université impériale. Il occupera cette charge jusqu'à la fin de l'Empire.

Le chancelier

Il a la responsabilité du sceau et des archives de l'Université. C'est lui qui signe les diplômes ainsi que tous les actes adoptés par le grand maître ou le conseil de l'Université. La tenue du registre de tous les employés de l'Université, administratifs comme enseignants, fait partie de ses attributions, ainsi que la présentation des membres de l'Université au grand maître pour leur prestation de serment. En l'absence du grand maître, il est habilité à présider le conseil.

Le chancelier nommé en mars 1808 restera en poste lui aussi jusqu'à la fin de l'Empire. Il s'agit de Jean-Chrysostome-Ignace de Villaret, évêque de Casale Monferrato.

Le trésorier

Il s'occupe des recettes et des dépenses et s'assure en particulier de la perception des droits dus à l'Université sur tout le territoire de l'Empire. Traitements et pensions sont sous sa responsabilité ainsi que la surveillance de la comptabilité de tous les établissements. Toutes ces tâches font l'objet d'un rapport transmis au grand maître. Tout comme le chancelier, il est en capacité de suppléer le grand maîte à la présidence du conseil. C'est à un mathématicien et astronome, Jean-Baptiste Delambre, que Napoléon confiera ces fonctions de 1808 à la chute de l'Empire.

Le conseil de l'Université impériale

Sous la présidence du grand maître, il est appelé à se prononcer sur des sujets variés concernant les établissements relevant de l'Université impériale : statuts, questions de police, d'administration ou tout autre que lui soumet son président. Outre celui-ci, il se compose du chancelier, du trésorier, de neufs conseillers titulaires et de conseillers ordinaires. Ces derniers comprennent les inspecteurs généraux et certains recteurs. Tous les membres du conseil sont nommés par l'Empereur. Plusieurs personnalités illustres en feront partie : le philosophe Louis de Bonald, pourtant royaliste proclamé, le paléontologue Georges Cuvier, le botaniste Antoine Laurent de Jussieu

Le conseil est doté d'un sécrétariat général, qui se charge de rédiger les procès verbaux des séances du conseil. Ceux-ci doivent ensuite être transmis au ministère de l'Intérieur.

Les inspecteurs généraux

Leur rôle est d'inspecter les différentes écoles, en complément des recteurs et des inspecteurs d'académie. Pour remplir cette mission, ils interviennent dans l'évaluation des élèves, surveillent les études comme la discipline, s'assurent des capacités tant des enseignants que des gestionnaires, et contrôlent même l'administration ou la comptabilité.

Créés à l'origine au nombre de dix-huit par un décret impérial du 21 septembre 1808, ils sont vingt-six à la fin de l'Empire.

Les recteurs d'académie

Les recteurs sont nommés par le grand maître pour une période de cinq ans au minimum, mais ils peuvent être maintenus à leur poste plus longtemps. L'académie de Paris, de par son importance stratégique, fait exception : le grand maître l'administre directement. Ce sont le plus souvent des professeurs de faculté.

Trente-deux à l'origine, car leurs limites sont calquées sur celles des cours d'appel, elles sont quarante en 1813. De nouvelles créations ont en effet été rendues nécessaires par l'extension territoriale de l'Empire.

Le recteur est, dans son académie, l'équivalent d'un préfet dans sont département. Il y représente le pouvoir central et y assume la responsabilité de l'enseignement.

Ses tâches sont nombreuses : assister aux examens, en tant que garant de la validité des diplômes délivrés ; entendre les rapports des responsables des divers établissements situés dans sa juridiction : doyens des universités, proviseurs des lycées, principaux de collèges ; contrôler ces mêmes établissements tant du point de vue pédagogique que disciplinaire et financier. Pour mener à bien ces missions, il est amené à visiter les établissement ou à y envoyer les inspecteurs d'académie qui le secondent. Il est cependant tenu de visiter lui-même les lycées de son académie quatre fois l'an et à se rendre régulièrement dans les facultés. Enfin, il préside le conseil académique et dresse la liste des ouvrages autorisés dans les établissements.

La réforme de 1811 ampute les pouvoirs des recteurs au profit des préfets. Ceux-ci se voient désormais chargés de l'enseignement primaire et récupèrent les pouvoirs d'inspection précédemment dévolus aux recteurs.

Les inspecteurs d'académie

Ils sont un ou deux par académie (sauf à Paris où ils sont au nombre de cinq), nommés par le grand maître sur présentation du recteur. S'ils s'intéressent en premier lieu aux aspects financiers et administratifs (organisation, discipline, locaux et état sanitaire), ils peuvent également examiner l'enseignement lui-même. Leurs avis sont collectés au niveau national et sont pris en compte par l'administration centrale dans la gestion de la carrière des enseignants comme dans les éventuelles décisions de fermeture d'établissements.

Ils sont étroitement attachés à l'Université et ne peuvent en démissionner qu'avec l'autorisation du grand maître, à moins de réitérer leur demande à trois reprises. Trente années d'activité donnent droit à une pension de retraite. Ils peuvent aussi bénéficier de la maison de retraite des officiers de l'Université, y compris prématurément en cas d'invalidité survenue pendant l'exercice de leurs fonctions.

Diplôme de bachelier sous le Premier Empire