N & E
Napoléon & Empire

Les tombeaux de Napoléon
Fontaine Torbett - Les Invalides

Napoléon repose à son emplacement actuel depuis le 2 avril 1861. Il lui a donc fallu attendre près de quarante ans avant de recevoir la sépulture que nous lui connaissons.

Cette attente se divise en deux périodes d'une vingtaine d'années chacune, entre lesquelles s'inscrit le voyage de retour

Sainte-Hélène : La fontaine Torbett

Après sa mort, le 5 mai 1821 à 17 heures 49, Napoléon est d'abord inhumé sur le lieu de son exil, dans l'île de Saint-Hélène. Les autorités britanniques ont en effet refusé le rapatriement du corps de l'Empereur, réclamé par le général Henri Gatien Bertrand.

La tombe de l'Empereur est creusée dans un vallon appelé alors vallée du Géranium ou fontaine Torbett, mais dont la dénomination va rapidement devenir vallée du Tombeau. Le propriétaire des lieux, Mr Richard Torbett a reçu pour son terrain une indemnité de 650 livres sterling, doublée d'une redevance annuelle de 50 livres supplémentaires.

Le prisonnier lui-même, prévoyant la décision de ses geôliers, a choisi ce site ombragé de saules, baigné par un ruisseau et bordé de trois côtés par des escarpements. Il a toujours fait grand cas des eaux de la source qui y coule, depuis qu'il les a découvertes au cours d'une randonnée à cheval. Elles sont en effet particulièrement fraîches et limpides.

Rien n'ayant été anticipé, les travaux d'aménagement commencent le 7 au matin. Une fosse de 11 pieds de long, 10 de large et 8 de profondeur est excavée. Le fond est garni d'une dalle maçonné de deux pieds d'épaisseur. Un mur de 18 pouces en ceint le périmètre, afin de retenir la terre.

Le tombeau lui-même est posé au fond de cette fosse. Il se compose de quatre dalles de six pieds sur trois et cinq pouces d'épaisseur pour les deux côtés, le fond et le couvercle, et de deux autres plus petites aux extrémités, le tout composant un coffrage destiné à empêcher l'humidité d'atteindre le cercueil qui va y être placé sur deux cales en bois.

Ce cercueil est triple. Une première bière en fer blanc, doublée de satin de la même couleur, avec oreiller et matelas de même étoffe, accueille le corps. Le coeur et l'estomac sont placés à part, le premier dans un vase d'argent, le second dans une simple boîte. Ces organes ont été prélevés au cours de l'autopsie pratiquée le 6 mai pour tenter de déterminer les causes de la mort. Par manque de place, le chapeau de l'Empereur doit être posé sur ses cuisses. Un second cercueil, en plomb, accueille le premier après son scellement. Soudé à son tour, le cercueil de plomb est enfermé dans un troisième en acajou.

Napoléon est porté en terre le 9 mai 1821, paré de son traditionnel uniforme des chasseurs à cheval de la garde impériale.

L'abbé Angelo Paolo Vignali celèbre la messe des morts à 10 heures du matin dans la demeure de Longwood. Puis douze grenadiers sans armes portent le cercueil à l'épaule jusqu'au corbillard.

À partir de onze heures, le gouverneur Hudson Lowe, sa femme et sa fille, vêtues de deuil, et toutes les autorités britanniques de terre et de mer présentes sur l'île suivent le convoi, de même que les derniers compagnons français de l'Empereur. De nombreux habitants se joignent au cortège.

La garnison tout entière, 2 000 hommes environ, est sous les armes et borde le parcours avant d'aller couronner la hauteur qui surplombe la vallée. Les musiques des différents régiments jouent des airs lugubres quand le char sur lequel est posé le cercueil passe devant elles. Des coups de canon retentissent de minute en minute, tirés par le vaisseau amiral anglais et l'artillerie des forts.

Durant les derniers décamètres, la bière est de nouveau portée à l'épaule par les douze mêmes grenadiers. Elle est ensuite descendue dans le caveau tandis que retentissent trois salves de quinze coups chacune.

La dernière demeure de l'Empereur − du moins le croit-on alors − est pour finir solidement scellée. Trois dalles seront bientôt posées pour la couvrir tandis qu'une clôture en bois entourera le site. Aucune inscription ne sera gravée sur les pierres, Hudson Lowe s'étant opposé à la mention Napoléon Ier et les Français refusant en retour celle de Général Bonaparte.

Exhumation et retour en France

Le corps de l'Empereur demeure dans dans son vallon durant plus de dix-neuf ans, jusqu'au 15 octobre 1840.

Il est alors exhumé, doté de trois cercueils supplémentaires dont un en ébène muni d'une serrure à complication et rapatrié en France où il est installé en grandes pompes aux Invalides le 15 décembre

Les Invalides

Vue des Invalides côté nord
La façade nord de l'Hôtel des Invalides, vue depuis l'esplanade

Après qu'on a envisagé le Panthéon, l'église de la Madeleine, l'Arc de Triomphe ou la basilique de Saint-Denis, les Invalides ont finalement été choisies comme lieu de sépulture. Cette décision permet aux autorités d'affirmer une continuité entre l'histoire militaire de l'Ancien Régime et celle de la Révolution puis de l'Empire. Elle obéit ainsi à la volonté du régime de se présenter comme l'héritier de toutes les gloires de la France.

Les Invalides ont été créés par Louis XIV pour accueillir les blessés et les invalides de son armée. Les bâtiments en sont organisés autour d'une grande cour d'honneur. Dans leur prolongement a été édifiée une église, Saint-Louis des Invalides, composés de deux espaces contigus séparés par un autel : l'église des soldats, devenue récemment cathédrale, et l'église (ou chapelle) royale, aujourd'hui désacralisée, réservée à l'usage du souverain et de sa famille.

La chapelle royale est surmontée d'un dôme qui culmine à 107 mètres de haut (c'est pourquoi on rencontre parfois l'appelation d'église du dôme), longtemps le plus haut édifice de la capitale. Six autres chapelles plus petites rayonnent autour d'elle, quatre en angle consacrées respectivement à Saint-Augustin, Saint-Ambroise, Saint-Grégoire et Saint-Jérôme et deux médianes, dédiées à la Vierge Marie et à Sainte-Thérèse.

Église Saint-Louis des Invalides
L'église de Saint-Louis des Invalides et son dôme

Chapelle Saint-Jérôme : sépulture provisoire

Le cercueil de Napoléon est d'abord placé dans une niche de satin blanc au pied d'un catafalque, haut de seize mètres, dressé au centre de l'église du dôme. Ce monument éphème est décoré d'aigles et de drapeaux. Des colonnes corinthiennes en occupent les quatre coins. Quatre statues s'y appuient, ornées de parements symbolques : victoire, immortalité... Une copie fidèle du cercueil de Napoléon est installée au sommet de ce mausolée.

Du 16 au 27 décembre 1840, la chapelle royale est ouverte au public, sous la garde de quatre invalides ou de quatre garde nationaux. Elle suscite un tel engouement qu'on estime à plus d'un million le nombre des visiteurs qui s'y sont pressés dans de longues files d'attente malgré le froid et la pluie.

Aussitôt après les cérémonies a débuté le réaménagement de la chapelle Saint-Jérôme (qui abrite aujourd'hui les tombeaux de son fils, l'Aiglon, ainsi que ceux de Jérôme Bonaparte, son frère, et Catherine de Wurtemberg, épouse de ce dernier), à grands renfort de tapisseries et de tentures. Victor Hugo se montrera critique à l'égard de cette décoration, dépourvue selon lui de noblesse. A la décharge de ses concepteurs, ils ne la croyaient probablement pas destinée à durer.

Le 6 février 1841, les cendres impériales sont transportées du catafalque à la chapelle Saint-Jérôme. Ce déplacement de quelques dizaines de mètres donne lieu à une nouvelle cérémonie, présidée par le maréchal Bon-Adrien Jannot de Moncey, gouverneur des Invalides. Gaspard Gourgaud, Emmanuel de Las Cases et Louis Joseph Narcisse Marchand y assistent.

Le cercueil est placé sur une estrade d'un mètre soixante-dix de hauteur. Devant celle-ci sont placées plusieurs reliques :

  1. Le cordon, la croix de grand-aigle et la plaque de grand-officier de la Légion d'honneur de Napoléon, ainsi que le grand collier porté pendant le Sacre ;
  2. Le chapeau porté par l'Empereur à la bataille d'Eylau ;
  3. Une épée, dite d'Austerlitz, qu'il portait en campagne ;
  4. Une boîte en bois contenant les clés du cercueil d'ébène.

Soixante-cinq drapeaux pris à l'ennemi sont disposés de part et d'autre de l'estrade ainsi que, derrière elle, un bouquet de drapeaux tricolores, surmonté d'une aigle éployée enserrant un globe.

Toutes les ouvertures étant oblitérées par des tentures et l'éclairage ne provenant que d'une unique lampe à gaz, l'ambiance est ordinairement sépulcrale.

Les cendres de l'Empereur vont attendre là leur sépulture définitive jusqu'au 2 avril 1861, soit un peu plus de vingt ans, veillées en permanence par quatre invalides.

Église royale : sépulture définitive

En 1841, un concours national est ouvert pour la réalisation du tombeau définitif. Quatre vingts projets sont présentés. Une commission ayant pour secrétaire Théophile Gautier et comprenant entre autres Pierre-Jean David d'Angers et Dominique Ingres, choisit celui de l'architecte d'origine italienne Louis Tullius Joachim Visconti, qui a déjà conçu les décorations parisiennes pour le retour des Cendres.

Sa proposition prévoit un sarcophage de porphyre rouge occupant le centre d'une crypte ronde creusée sous l'église du Dôme et ouverte sur celle-ci. L'excavation doit mesurer six mètres de profondeur et vingt-et-un de diamètre. L'ouverture sur l'église aura une envergure de quinze mètres, les six mètres supplémentaires servant à ménager autour de la crypte une galerie circulaire.

Le tombeau lui-même, de quatre mètres de long sur deux de large, est d'une forme parallélépidique, évoquant le style Empire, et qui se marie heureusement avec le caractère de l'église. La décoration en est sobre : quatre couronnes de laurier et quelques motifs géométriques sur la corniche.

La pierre dans laquelle il est façonné est du quartzite rouge de Chokcha (et non du porphyre), du nom du village de Finlande, à l'époque province russe, où elle a été extraite. Sa couleur évoque celle de la pourpre, de tout temps symbole de pouvoir.

Le sarcophage est posé sur un socle en granit vert des Vosges. Au sol, une mosaïque recense les noms de batailles victorieuses livrées par l'Empereur.

Sur le pourtour de la crypte, adossées aux colonnes qui la séparent de la galerie, douze statues allégoriques de femmes − des Victoires − veillent sur le tombeau tout en symbolisant les campagnes les plus fameuses de Napoléon. La galerie elle, est décorée de dix bas-reliefs en marbre exaltant les principales institutions et réalisations civiles de l'Empire. Pour la taille de toutes ces sculptures, Visconti s'est assuré la collaboration d'artistes en vue : James Pradier, Pierre-Charles Simart et François Jouffroy.

Tombeau de Napoléon Ier
Le tombeau de Napoléon Ier

Lorsque Visconti meurt, en juin 1852, les travaux, en bonne voie d'achèvement sont poursuivis par Jules-Frédéric Bouchet puis, après son décès en 1860, par Alphonse-Nicolas Crépinet. Il faudra pourtant encore attendre près de neufs années supplémentaires pour que l'inauguration ait lieu. Le cardinal-archevèque de Paris y présidera, en présence de l'Empereur Napoléon III, de sa famille, des maréchaux, des grands-offichiers de la couronne et des membres du conseil privé, sans compter d'autres personnalités.

Napoléon avait inscrit en haut de son testament : Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. Sa volonté est enfin accomplie.

Note

La pierre tombale initiale de Napoléon, celle de l'île de Sainte-Hélène, fut également ramenée en 1840. Elle est désormais située dans la cour de Nîmes, un jardinet jouxtant l'église Saint-Louis-des-Invalides, côté ouest.

Pierre tombale de Napoléon Ier
La première pierre tombale de Napoléon Ier, ramenée de Sainte-Hélène