Une aventure au Palais Royal

- Vous aurez bien froid, lui dis-je, comment pouvez-vous vous résoudre à passer dans les allées ?
- Ah ! monsieur, l'espoir m'anime. Il faut terminer ma soirée.L'indifférence avec laquelle elle prononça ces mots, le flegmatique de cette réponse me gagna et je passai avec elle.
- Vous avez l'air d'une constitution bien faible. Je suis étonné que vous ne soyez pas fatiguée du métier.- Ah ! dame, monsieur, il faut bien faire quelque chose.
- Cela peut-être, mais n'y a-t-il pas de métier plus propre à votre santé ?- Non, monsieur, il faut vivre.
Je fus enchanté, je vis qu'elle me répondait au moins, succès qui n'avait pas couronné toutes les tentatives que j'avais faites.- Il faut que vous soyez de quelques pays septentrionaux, car vous bravez le froid.
- Je suis de Nantes en Bretagne.- Je connais ce pays-là... Il faut, mademoiselle, que vous me fassiez le plaisir de me raconter la perte de votre p...
- C'est un officier qui me l'a pris.- En êtes-vous fâchée ?
- Oh ! oui, je vous en réponds. (Sa voix prenait une saveur, une onction que je n'avais pas encore remarquée). Je vous en réponds. Ma soeur est bien établie actuellement. Pourquoi ne l'eus-je pas été ?- Comment êtes-vous venue à Paris ?
- L'officier qui m'avilit, que je déteste, m'abandonna. Il fallut fuir l'indignation d'une mère. Un second se présenta, me conduisit à Paris, m'abandonna, et un troisième avec lequel je viens de vivre trois ans, lui a succédé. Quoique Français, ses affaires l'ont appelé à Londres et il y est. Allons chez vous.- Mais qu'y ferons-nous ?
- Allons, nous nous chaufferons et vous assouvirez votre plaisir.J'étais bien loin de devenir scrupuleux, je l'avais agacée pour qu'elle ne se sauvât point quand elle serait pressée par le raisonnement que je lui préparais en contrefaisant une honnêteté que je voulais lui prouver ne pas avoir...
Napoléon BonaparteJeudi 22 novembre 1787, à Paris, Hôtel de Cherbourg, rue du Four St Honoré.