Le Crépuscule de l'Empire que sont les Cent-jours s'ouvre sur un prologue inouï : L'invasion d'un pays par un seul homme
, comme l'écrira François-René de Chateaubriand avec le génie de la formule juste qu'on lui connaît. Historiens et poètes consacreront l'expression Le Vol de l'Aigle, condensé de la phrase que l'Empereur prononce en personne lorsqu'il débarque à Golfe-Juan.
Nous nous proposons d'en retracer l'itinéraire, jusqu'à Grenoble, à l'aide de quelques repères chronologiques et iconographiques : photographies des lieux traversés et des clochers survolés par l'Aigle ... La typonomie utilisée est celle de 1815 (Basses-Alpes, Porto-Ferrajo, Digne ...), de même que le découpage des départements (les Alpes-Maritimes n'existaient alors plus depuis un an).
Ile d'Elbe
- PORTO-FERRAJO [de nos jours Portoferraio] - Le 26 février 1815 à neuf heures du soir, Napoléon appareille sur le brick l'Inconstant, accompagné d'une flottille de quatre trois-mâts (l'espéronade la Caroline, la polacre le Saint-Esprit et les chebecs l'Etoile et le Saint-Joseph) et deux felouques (l'Abeille et la Mouche) sur lesquels embarquent sept-cents hommes munis de quatre pièces de canons. La mer est calme, le vent faible. C'est donc très lentement que l'île d'Elbe s'éloigne à l'horizon.
Département du Var (en 1815)
- GOLFE-JOUAN [Golfe-Juan] - C'est sur cette plage déserte, entre Antibes à l'est et Cannes à l'ouest, que Napoléon débarque le 1er mars. Il proclame que l'Aigle va
voler de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame
. Mais nul clocher ici en 1815, seules quelques cabanes de pêcheurs ... Après un premier bivouac de quelques heures dans une oliveraie près du rivage, la troupe prend la direction de Cannes. La marche s'effectuera jusqu'à Grenoble comme suit : une avant-garde sous le commandement du général Pierre Cambronne précède de plusieurs heures le gros du bataillon, afin d'éclairer la route et de prendre commande des rations (Cambronne doublera ou triplera systématiquement le nombre de rations commandées, pour faire croire à une troupe plus nombreuse que les quelques mille hommes qui la composent) ; puis vient le bataillon, lui-même suivi à distance d'une arrière-garde commandée par le général Antoine Drouot ; des estafettes à cheval sont chargées des liaisons. - CANNES - La ville (un gros bourg de 3 500 âmes) est atteinte à la tombée de la nuit. On bivouaque aux alentours de la chapelle Notre-Dame de Bon Port [qui n'existe plus de nos jours, l'église Notre-Dame de Bon Voyage ayant été bâtie sur son emplacement de 1868 à 1879]. On repart à l'aube, quittant le littoral pour prendre la route de Grasse. De clocher en clocher : Notre-Dame de l'Espérance, qui domine la ville depuis Le Suquet
- MOUGINS - Le village (1 600 habitants) est traversé dans la matinée du 2 mars. De clocher en clocher : l'église Saint-Jacques-le-Majeur
- MOUANS [Mouans-Sartoux] - Ce village, contigu à Mougins, ne compte guère que 500 à 600 habitants ; il est traversé sans que halte y soit faite. De clocher en clocher : l'église Saint-André
- GRASSE - C'est la première ville que rencontre Napoléon sur son chemin, riche de plus de 12 000 âmes et prospère grâce à ses tanneries et, déjà, ses parfumeries. Napoléon arrive vers midi et tient conseil : la route vers Digne, qu'il pensait construite, ne l'est toujours pas ; il a toujours la possibilité de rejoindre Draguignan puis la vallée du Rhône, mais le mauvais accueil qu'il a reçu en Provence l'année précédente, lors de son périple de Fontainebleau à Saint-Raphaël, lui fait préférer les sentiers et chemins de montagne ; on se passera donc des quelques voitures achetées à Cannes ... Le temps de déjeuner sur le plateau de Roquevignon qui surplombe Grasse et vers deux heures la troupe reprend sa marche, à travers la montagne. De clocher en clocher : la cathédrale Notre-Dame-du-Puy
- SAINT-VALLIER [Saint-Vallier-de-Thiey] - Atteint vers quatre heures de l'après-midi, après avoir passé le col du Pilon, la troupe y prend quelques instants pour se désaltérer et souffler, avant de repartir, non sans s'être équipée de nombreux mulets supplémentaires. De clocher en clocher : l'église Notre-Dame de l'Assomption
- ESCRAGNOLLES - C'est vers six heures qu'on rallie le village natal du général François Mireur, tué lors de la campagne d'Égypte. L'Empereur rend une visite à la mère de son ancien compagnon d'armes. De clocher en clocher : l'église Saint-Martin
- SÉRANON - Après avoir passé le col de Valferrière (1169 m d'altitude) sous la neige, on arrive à Séranon vers dix heures du soir. Le bivouac s'installe, pour quelques heures seulement, au château de Broundet [gentilhommière aujourd'hui ruinée] ; Napoléon dort tout habillé dans un fauteuil, pressé de repartir avant le lever du jour vers Castellane et Grenoble pour prendre de vitesse les troupes royalistes qui ne manqueront pas d'avoir été envoyées à sa rencontre pour l'intercepter ... De clocher en clocher : l'église Saint-Michel
Département des Basses-Alpes (en 1815)
- CASTELLANE - Au matin du 3 mars, passé le col de Luens (1054 m), on descend sur Castellane, bourgade de 1 900 habitants, sous-préfecture des Basses-Alpes depuis 1800. On entre par le pont du Roc, qui enjambe le Verdon depuis le quinzième siècle. Comme c'est jour de marché, on en profite pour acheter quantité de chevaux et mulets supplémentaires. Napoléon déjeune à la sous-préfecture, puis on se remet en route vers deux heures, en empruntant sous la neige le sentier muletier qui mène au le col des Lecques (1148 m). De clocher en clocher : l'église du Sacré-Coeur (que l'Aigle n'a pu survoler car elle fut construite à la fin du Second-Empire)
- SENEZ - Napoléon longe la rivière Asse sur sa rive droite, et passe devant le village de Senez (750 habitants seulement, mais siège d'un évêché depuis le Ve siècle jusqu'en 1790 !), situé sur la rive gauche. De clocher en clocher : l'ancienne cathédrale Notre-Dame de l'Assomption
- BARRÊME - Cinq kilomètres plus loin, voici Barrême et ses mille habitants, qui réservent un excellent accueil à l'Empereur qui arrive à huit heures du soir. Le bivouac est le bienvenu pour la troupe, qui a connu une rude étape, dans des conditions très difficiles. De clocher en clocher : l'église Saint-Jean-Baptiste, construite sous le Second Empire à l'endroit de celle qui a vu passer Napoléon
- LA CLAPPE - La troupe a quitté Barrême le 4 mars à six heures du matin, et, au lieu de cheminer sur les bors de de l'Asse, escalade les pentes du col du Corobin (1211 m) . Elle traverse alors de hameau de La Clappe , où une courte halte est observée. On redescend ensuite vers les thermes de Digne. De clocher en clocher : chapelle de la Clappe
- DIGNE [de nos jours Digne-les Bains] - C'est à midi que Napoléon arrive au chef-lieu (3 500 habitants) du département des Basses-Alpes. Ce samedi est jour de marché. Il y déjeune avec quelques notables, desquels ne font toutefois partie ni le préfet ni l'évêque, prudemment retenus à d'autres tâches en d'autres lieux de la ville. On repart sans tarder en début d'après-midi. De clocher en clocher : cathédrale Saint-Jérôme
- MALIJAI - On suit la Bléone sur sa rive droite jusqu'à Malijai , modeste village de 470 âmes mais à l'entrée duquel se trouve un château qui a été réquisitionné quelques heures auparavant par le général Cambronne. L'Empereur y loge pour la nuit, tandis que la troupe bivouaque dans le parc. De clocher en clocher : l'église paroissiale Saint-Christophe (reconstruite en 1839 sur l'emplacement de l'ancienne église Notre-Dame d'Espérance)
- L'ESCALE - Un nouveau départ précoce, ce dimanche 5 mars, amène rapidement les Elbois à L'Escale (600 habitants), où ils ne font que passer. De clocher en clocher : l'église Notre-Dame-de-Mandanois
- VOLONNE - On fait une courte halte dans ce bourg de 1 100 âmes, puis on poursuit vers Sisteron en suivant toujours la rive gauche (est) de la Durance. De clocher en clocher : l'église Notre-Dame-des-Salles
- SISTERON - Napoléon arrive peu avant midi dans cette petite ville de près de 4 000 habitants. Il y déjeune rapidement à l'hôtel du Bras d'Or, rue Saunerie, reçoit des notables locaux, et repart sans tarder. Il s'agit, toujours, d'avoir de l'avance sur les troupes royalistes qui ont nécessairement été envoyées à ses trousses, ou à sa rencontre ... De clocher en clocher : la Tour de l'Horloge
Département des Hautes-Alpes
- LE POËT - La route vers Gap traverse plusieurs beaux villages, dont celui-ci, de quelques centaines d'habitants, à treize kilomètres de Sisteron. Il n'est pas sûr toutefois qu'admirer le paysage soit une priorité pour l'Empereur ... De clocher en clocher : l'église Saint-Pierre
- ROUREBEAU - Il en est de même pour ce hameau dépendant de la commune d'Upaix ... De clocher en clocher : il n'y a pas de clocher au hameau de Rourebeau ... l'Aigle continue son vol ...
- MONÊTIER-ALLEMONT - ... et pour cette commune, dont les habitants se nomment les Monêtiards. De clocher en clocher : l'église Saint-Martin
- LA SAULCE - On y fait une courte halte pour se désaltérer, puis on repart à marche soutenue vers Gap, qui n'est plus qu'à dix-huit kilomètres, sans difficulté majeure. De clocher en clocher : l'église Saint-Jean-Baptiste Saint-Marcellin
- TALLARD - Ce village de quelques centaines d'âmes, blotti au pied d'un imposant château du XIVème siècle, est le dernier que traverse la troupe avant un bivouac bien mérité à Gap. D'ailleurs la nuit est tombée. De clocher en clocher : l'église St Grégoire d'Amnice
- GAP - C'est vers onze heures du soir que Napoléon arrive dans le chef-lieu des Hautes-Alpes (sept mille habitants). La ville a été très embellie à l'initiative du préfet Charles-François de Ladoucette, qui a été nommé en avril 1802, avant que l'Empereur ne le nomme préfet du Roer, à Aix-la-Chapelle, en avril 1809. Napoléon dîne et passe la nuit à l'hôtel Marchand. Reconnaissant de l'accueil que la population lui a réservé au cours des derniers jours, il rédige à son intention le message suivant : Aux habitans des départemens des Hautes et Basses Alpes, Citoyens: J'ai été vivement touché de tous les sentiments que vous m'avez montrés, vos vœux sont exaucés. La cause de la Nation triomphera encore. Vous avez raison de m'appeler votre Père; je ne vis que pour l'honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes ; il garantit la conservation de toutes les propriétés, l'égalité entre toutes les classes et les droits dont vous jouissez depuis vingt-cinq ans, et après lesquels nos pères ont tant soupiré forment aujourd'hui une partie de votre existence. Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai toujours avec un vif intérêt tout ce que j'ai vu en traversant votre pays. et charge Drouot de le faire imprimer. De clocher en clocher : la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption
- LAYE - Cambronne et son avant-garde repartent de Gap le 6 mars au matin en direction du col Bayard (1246 m), tandis que Napoléon octroie la matinée de repos au gros de la troupe, qui l'a bien méritée. C'est donc en début d'après-midi qu'on s'élance vers le col. On traverse ensuite le village de Laye sans s'arrêter. De clocher en clocher : l'église Saint-Pierre
- SAINT-BONNET-EN-CHAMPSAUR - C'est plus précisément au lieu-dit "Les Barraques", entre La Fare et Saint-Bonnet en Champsaur , que la troupe impériale opère une courte halte, avant de repartir en direction de Grenoble. De clocher en clocher : l'église Saint-Bonnet ... à Saint-Bonnet !
- AUBESSAGNE [Chauffayer] - Napoléon et ses hommes ne font que traverser le hameau de Chauffayer (qui donnera son nom à la commune en 1887). De clocher en clocher : l'église Sainte-Anne
- SAINT-FIRMIN - A l'entrée de la vallée du Valgaudemar, on passe au pied de cette commune de création récente, puisqu'elle résulte de la fusion en 1791 des communes de La Broue, L'Esparcelet, Les Préaux, Reculas et Villard-Saint-Firmin. On quitte peu après le département des Hautes-Alpes. De clocher en clocher : l'église Saint-Firmin, dans le village éponyme
Département de l'Isère
- CORPS - On entre dans le département de l'Isère et on fait halte pour la nuit dans cette bourgade de 1 100 habitants, en face du massif de l'Obiou. Napoléon loge à l'hôtel du Palais, Grand'Rue. De clocher en clocher : l'église paroissiale Saint-Pierre
- LA MURE - Cette cité de 1 900 âmes, à près de mille mètres d'alitude sur le plateau matheysin, voit transiter la troupe impériale au matin du 7 mars. On fait une halte de deux heures et on repart vers le nord en direction de Laffrey et Vizille. De clocher en clocher : l'église Saint-Pierre, qui a pris en 1925 le nom du Bienheureux Père Pierre-Julien Eymard, fondateur de la Congrégation du Saint-Sacrement, qui a très bien pu voir passer l'Empereur puisqu'il était âgé de quatre ans à ce moment.
- PIERRE-CHÂTEL - Ce village de 700 habitants est traversé sans difficulté, bien que l'Empereur redoute qu'un régiment royaliste ait été envoyé à sa rencontre afin de l'empêcher de rallier Grenoble. De clocher en clocher : l'église Saint-Pierre
- PETICHET [Saint-Théoffrey] - Ce hameau est également traversé sans péril. De clocher en clocher : la chapelle Notre-Dame-de-la-Pitié Saint-Sébastien
- LAFFREY - C'est dans une prairie à quelques hectomètres de l'entrée du village de Laffrey qu'a lieu la rencontre avec un bataillon du 5e régiment d'infanterie de ligne, sous les ordres du commandant Lessart (ou Lessard). Napoléon s'avance à portée de fusil et s'adresse aux soldats qui lui font face :
Soldats du 5e de Ligne, je suis votre Empereur, reconnaissez-moi !
, puis s'avançant encore il entrouvre sa redingote grise et s'écrie :S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, me voici.
A ces mots, chacun met bas les armes et se précipite vers Napoléon, qui en pleurant, qui en s'exclamantVive l'Empereur !
. C'est une troupe Elboise augmentée d'un bataillon du 5e de Ligne qui traverse donc Laffrey en direction de Vizille. De clocher en clocher : l'église templière de Laffrey - VIZILLE - L'Empereur ne s'attarde pas dans ce gros bourg de 2 000 habitants, sur les bords de la rivière Romanche, où se trouve le plus grand et prestigieux château du Dauphiné. De clocher en clocher : l'église Sainte-Marie
- BRIÉ [Brié-et-Angonnes] - C'est sur le territoire de cette commune de 600 habitants, regroupant plusieurs hameaux sur un plateau dominant Grenoble, que Napoléon est rallié par le 7e régiment d'infanterie de ligne sous les ordres du colonel Charles Angélique François Huchet de La Bédoyère. L'Empereur le remerciera d'avoir été le premier officier supérieur à se rallier en le nommant général de brigade, et en en faisant son aide de camp. De clocher en clocher : l'église Saint-Pierre Saint-Paul
- EYBENS - Ce village de 700 habitants a l'honneur de voir Napoléon y prendre, dans une auberge, un bain de pieds dans un chaudron en cuivre ... avant de poursuivre sa route jusqu'à Grenoble. De clocher en clocher : l'église Saint-Christophe
- GRENOBLE - Napoléon arrive à Grenoble (23 000 habitants, chef-lieu de l'Isère) à la tombée de la nuit. Il y entre triomphalement vers onze heures par la porte de Bonne après que le général Jean-Gabriel Marchand, commandant la place, ait vu les troupes sous ses ordres se rallier avec enthousiasme à l'Empereur. De clocher en clocher : la cathédrale Notre-Dame
La Route Napoléon. Itinéraire de l'Empereur de Golfe-Juan à Grenoble
Diverses vues de la route Napoléon
Les campagnes de Napoléon au jour le jour
Tous les déplacements de Napoléon de 1769 à 1821