N & E
Napoléon & Empire

Napoléon Bonaparte sur l'île d'Elbe

Entre le 14 avril 1814 et le 1er mars 1815, Napoléon Bonaparte règne sur la principauté de l'Île d'Elbe [Isola d'Elba], spécialement créée à son intention par le Traité de Fontainebleau du 11 avril 1814.

Au cours de cette période, il va organiser ce territoire minuscule de 224 kilomètres-carrés (quarante fois plus petit que la Corse) et de 13 700 habitants comme il l'a fait de l'Empire, y recevoir des parents et quelques autres visiteurs, améliorer le quotidien de ses sujets, mais aussi, et surtout, y préparer et organiser son retour sur le territoire français ...

L'île d'Elbe, vue aérienne
Vue aérienne de l'île d'Elbe. Photo par Ugo Valfer

Nous allons détailler ci-après, chronologiquement, la vie de l'Empereur déchu durant ces dix mois, tout en les illustrant de photographies prises lors d'un séjour sur l'île.

1814

28 avril 1814 – A Saint-Raphaël, Napoléon embarque en fin de journée sur la frégate anglaise HMS Undaunted , commandée par le contre-amiral Thomas Ussher  qu'il a préférée, pour des raisons de sécurité, à la frégate française Dryade qui lui était destinée. Il est accompagné :

  1. du colonel Neil Campbell , commissaire anglais ;
  2. du général Franz von Koller , commissaire autrichien et de son aide de camp le major Karl Johann Nepomuk Gabriel Clam-Martinic
  3. du général Henri-Gatien Bertrand , Grand-maréchal du Palais
  4. du général Antoine Drouot , aide de camp de l'Empereur
  5. du colonel Paweł Jan Jerzmanowski , commandant l'escadron des lanciers polonais de la Garde
  6. du chevalier Guillaume-Joseph-Roux Peyrusse , Trésorier de la Couronne
  7. du chevalier Louis Fourreau de Beauregard, médecin
  8. du chevalier Pierre Deschamps, premier fourrier
  9. du chevalier Pierre-Quentin-Joseph Baillon, second fourrier
  10. de François-Charles-Gabriel Gatte, pharmacien
  11. de M. Colin, contrôleur de la Maison de l'Empereur
  12. de M. Rathery, secrétaire du Grand-maréchal
  13. de douze autres officiels et dix domestiques, dont Jean-Baptiste Alexandre Pierron , chef d'office et Jean-Abram Noverraz , courrier de cabinet.

29 avril 1814 – Le vent étant favorable, l' Undaunted lève l'ancre vers onze heures du matin.

3 mai 1814 – La frégate arrive à l'île d'Elbe  en fin de journée, et mouille dans la baie de Porto-Ferrajo [de nos jours Portoferraio] après avoir hissé le pavillon parlementaire.

Baie de Portoferraio, au nord de l'île d'Elbe
La baie de Portoferraio, au nord de l'île d'Elbe

Le général Drouot se rend à terre à bord d'un canot commandé par le lieutenant Hastings, accompagné du colonel Campbell, du capitaine Clam-Martinic et du lieutenant Smith. Il monte au fort Stella  notifier au général de brigade Jean-Baptiste Dalesme , commandant de l'île, la souveraineté de Napoléon. Subséquemment, une délégation de notables vient à bord de l'Undaunted.

Napoléon décide du pavillon de son nouvel état, "d'argent à la bande de gueules parsemée de trois abeilles d'or", s'inspirant à la fois de celui des Appiani de Pise, premiers souverains de l'île, blanc avec des abeilles (Api veut dire abeilles en italien) et de celui de Côme Ier de Médicis (Cosimo I de' Medici, 1519-1574), fondateur de Portoferraio.

4 mai 1814 – Au matin, les Elbois se pressent autour d'une proclamation qui vient d'être placardée sur leurs murs : Le plus heureux événement qui pût jamais illustrer l'histoire de l'île d'Elbe s'est réalisé en ce jour ! Notre auguste souverain l'Empereur Napoléon est arrivé parmi nous. Nos voeux sont accomplis : la félicité de l'île d'Elbe est assurée (…) Unissons-nous autour de sa personne sacrée, rivalisons de zèle et de fidélité pour le servir …

Pendant ce temps Napoléon, qui a discrètement débarqué en chaloupe sur la côte opposée à Portoferraio, visite la Tenuta La Chiusa [42.79811, 10.35644], une propriété appartenant à Pellegrino Senno qui produit des vins (dont le réputé Aleatico) et de l'huile d'olive. Puis il retourne à bord de l'Undaunted.

Vignobles de la Tenuta La Chiusa
Vignobles de la Tenuta La Chiusa, visitée par Napoléon

C'est à 14 heures (ou plus tard dans l'après-midi selon les sources) que le canot amiral dans lequel Napoléon a pris place, en compagnie de Drouot, Bertrand, Campbell, Ussher, Koller et Clam, accoste au port de Portoferraio, au son des canons des forts Stella et Falcone . Napoléon est vêtu de son uniforme vert de colonel des Chasseurs de la Garde, avec culotte blanche, et il arbore comme seules décorations celles de la Légion d'honneur et de la Couronne de fer ; sur son chapeau, la cocarde a désormais les nouvelles couleurs elboises. Le maire Pietro Traditi lui remet sur un plateau d'argent les clés de la ville, dans laquelle l'Empereur fait son entrée par la Porta del Mare , édifiée au XVIe siècle à la gloire de Cosme de Médicis.

Napoléon arrive sur la place d'armes [actuelle Piazza della Repubblica] où se dresse à droite la cathédrale [Duomo della Natività della Beata Vergine Maria] [42.81470, 10.33237] . Mgr Joseph Philippe Arrighi, un cousin éloigné puisque oncle de Jean Thomas Arrighi de Casanova, Duc de Padoue, l'y conduit sous un dais rouge recouvert de guirlandes et bordé de papier doré. À l'intérieur, un prie-Dieu recouvert d'un drap de velours a été disposé au milieu de la nef à l'attention de l'Empereur. La cérémonie culmine avec le Te Deum laudamus de saint Ambroise de Milan.

Puis l'Empereur se rend de l'autre côté de la place à l'hôtel de ville  [42.81524, 10.33144], localement connu sous le nom de Biscottria car on y préparait autrefois des biscuits pour les marins. Il s'y installe pour quelques jours, dans des appartements au premier étage (où avait logé dix ans auparavant le chef de bataillon Joseph Léopold Sigisbert Hugo) préparés à la hâte.

Il fait publier le procès-verbal suivant : Ce 4 mai 1814. S.M. l'empereur Napoléon ayant pris possession de l'île d'Elbe, le général Drouot, gouverneur de l'île, au nom de l'Empereur, a fait arborer sur les forts, le pavillon de l'île : fond blanc traversé diagonalement d'une bande rouge semée de trois abeilles fond d'or. Ce pavillon a été salué par les batteries des forts de la côte, de la frégate anglaise l'Undaunted et les bâtiments de guerre français qui se trouvaient dans le port. En foi de quoi, nous, commissaires des puissances alliées, avons signé le présent procès-verbal avec le général Drouot, gouverneur de l'île, et le général Dalesme, commandant supérieur de l'île.

Tard dans la soirée, il reçoit André Pons de l'Hérault , ancien révolutionnaire et républicain, qu'il avait connu en 1793 lors du siège de Toulon, devenu depuis 1809 administrateur des mines de fer de l'île.

5 mai 1814 – Dès cinq heures du matin, Napoléon est à cheval et visite les forts avec le général Dalesme et le colonel Charles Humbert Marie Vincent, directeur des fortifications de l'île. Il choisit sa demeure, à mi-chemin des forts Falcone (à l'ouest) et Stella (à l'est) : un pavillon nommé "Les Mulini" [Palazzina dei Mulini] [42.81681, 10.33218].

Il s'agit, à cette époque, d'une petite villa construite en 1724 par le Grand-Duc de Toscane Jean Gaston de Médicis (Gian Gastone de' Medici) sur un promontoire au nord du centre historique de la ville, initialement entourée de quatre moulins à vent (détruits en 1809), qui avaient donné son nom à la résidence. Elle est composée de deux pavillons reliés par un corps central d'un seul étage, le tout donnant au nord-ouest sur un jardin    surplombant la mer . Quelques petites annexes déjà utilisées par le gouverneur de l'île sont disposées sur les terrasses qui s'élevent vers le Fort Stella. De l'autre côté se trouve le bâtiment d'un petit théâtre.

En contrebas, une anfractuosité dans la falaise  abrite une petite plage propice à des baignades discrètes.

6 mai 1814 – Napoléon va inspecter les mines de fer sur les hauteurs de Rio Marina , dans la partie orientale de l'île, en compagnie d'André Pons de l'Hérault. Ces mines à ciel ouvert, exploitées depuis l'époque des Etrusques, sont à cette époque l'apanage de la Légion d'Honneur.

Mine de fer sur l'île d'Elbe
Une mine de fer sur l'île d'Elbe

Pons de l'Hérault reçoit Napoléon chez lui avec une bouillabaisse à la Sétoise. Il va, de ce jour et avec l'accord de l'Empereur, recueillir une grande quantité d'informations qui lui serviront bien plus tard à la rédaction de Mémoires.

7 mai 1814 – Nouvelle tournée d'inspection dès potron-minet, cette fois des bâtiments de l'intérieur.

8 mai 1814 – Arrive à Portoferraio le navire Curaçao, sous les ordres du commandant Tower, duquel débarque Edward Hawke Locker, secrétaire de l'amiral Edward Pellew, Commandant en chef de la flotte de la Méditerranée. Il présente à Napoléon une copie de la convention du 23 avril, préliminaire au Traité de Paris. Napoléon se contente d'en prendre connaissance.

9 mai 1814 – Le Curaçao repart pour Gênes [Genova], avec à son bord le commissaite autrichien Franz von Koller. Napoléon remet à celui-ci une lettre pour son épouse l'Impératrice Marie-Louise.

15 mai 1814 – Napoléon inspecte les travaux qu'il a ordonnés pour sa résidence des Mulini, et confiés à l'architecte livournais Paolo Bargigli, professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Carrare [Carrara] qui a déjà travaillé pour Elisa Baciocchi à Massa et Lucques [Lucca]. L'agencement des pièces sera désormais le suivant :

  1. Au rez-de-chaussée quatre petites pièces contiguës deviennent sa chambre, sa bibliothèque, son petit salon et son cabinet ;
  2. De part et d'autre, un grand salon et deux plus petits pour les officiers de service, une antichambre et la salle des valets ;
  3. Au premier étage, une vaste pièce à huit fenêtres, à laquelle on accède par un escalier, tient lieu de salle du trône pour les audiences collectives, de salon d'apparat mais également, au besoin, de salle de bal. Elle donne d'un côté sur la ville, de l'autre sur la mer ;
  4. Un petit théâtre prolonge obliquement le pavillon de gauche (extrémité nord). Il bénéficie de planchers mobiles pour pouvoir être utilisé comme salle de fête et comme salle à manger, et ses murs sont décorés par le peintre turinois Vincenzo Antonio Revelli.

16 mai 1814 – Napoléon donne à l'Hôtel de ville sa première réception mondaine, un salon de type "cercle de dames", où une cinquantaine d'Elboises, en grande toilette, sont accompagnées de leurs époux.

18 mai 1814 – Napoléon part visiter la partie occidentale de l'île en compagnie de Bertrand, Campbell, deux chambellans, deux officiers d'ordonnance, un capitaine de gendarmerie, l'intendant, le maire de Portoferraio, le président du Tribunal, plusieurs autres fonctionnaires, et les accompagnateurs nécessaires. Il se rend à Marciana Marina, où on lui a préparé un accueil festif, et où un Te Deum est chanté. Il y passe la nuit.

19 mai 1814 – Il visite les villages de Marciana Superiore , ancienne résidence des Appiani, Poggio , Saint-Hilaire de Campo [Sant'Ilario in Campo] et Saint-Pierre de Campo [San Piero in Campo], où il couche.

20 mai 1814 – Napoléon embarque sur la Caroline et va visiter l'île de Pianosa [42.58736, 10.09584], à 20 kilomètres (11 milles nautiques) au sud-ouest, qu'il parcourt en tous sens à cheval. Il décide de coloniser et réarmer l'île (qui était devenue déserte depuis plusieurs années) en construisant une caserne. Au retour il fait une halte sur l'îlot de La Scola [42.58395, 10.10608] tout proche. Puis, après avoir soupé à Campo, il rentre à Portoferraio dans la nuit.

21 mai 1814 – Napoléon prend possession de la résidence des Mulini, dans l'odeur de peinture et de plâtre frais.

25 mai 1814 – La frégate Dryade, commandée par le capitaine François Henry de Peytes de Montcabrier et le brick L'Inconstant , par le capitaine Jean Baptiste Lacroix de Charrier-Moissard, arrivent. La première doit emporter les troupes françaises, et le second rester la propriété de Napoléon, conformément au Traité de Fontainebleau.

26 mai 1814 – Cinq navires anglais accostent de bon matin, qui amènent le général Pierre Cambronne et les quelques centaines d'hommes (675 grenadiers et 54 chevaux-légers polonais) de la Garde autorisée par le traité de Fontainebleau. Napoleon fait une courte visite à bord de la Dryade, puis se rend sur l'Undaunted. Avec l'arrivée de la Garde, la présence de ce navire devant assurer la sécutité de Napoléon n'est plus nécessaire. Le capitaine Ussher prend donc congé de l'Empereur, lequel le remercie chaleureusement et lui offre une tabatière ornée de son portrait et sertie de diamants.

En même temps que la Garde ont débarqué huit chevaux de selle de Napoléon, chacun d'entre eux étant associé à des événements passés :

  1. L'Ingénu, appelé aussi Wagram, un petit Arabe gris pommelé qu'il avait monté à la bataille de Wagram.
  2. Le Vizir, petit étalon de 1,35 m au garrot, à la robe grise, offert au Premier Consul Napoléon Bonaparte en 1802 par le sultan ottoman Selim III. Devenu Empereur, Napoléon l'a monté à Iéna et Eylau
  3. Tauris, un Persan gris à crinière blanche et queue coupée, offert par le tsar Alexandre au congrès d'Erfurt. Ce cheval convenait parfaitement à Napoléon qui le montait souvent : pendant la campagne de Russie, à Smolensk, à la bataille de la Moskowa, à l'entrée dans Moscou, durant la retraite en particulier au passage de la Bérézina, en 1813 lors des batailles de Dresde, Leipzig, et Hanau, et durant la campagne de France de 1814.
  4. L'Intendant dit Coco, autre gris, gros cheval normand, aux manières tranquilles, monté par Napoléon dans la plupart des grandes revues et lors des défilés, comme l'entrée triomphale dans une capitale étrangère conquise.
  5. Roitelet, issu d'une jument française et d'un étalon anglais, offert à Napoléon par son beau-fils, Eugène de Beauharnais. Pendant la retraite de Russie, il était content de le monter, car il ne glissait pas sur la glace comme les autres chevaux. Il l'a également monté à Lützen et à Arcis-sur-Aube.
  6. Montevideo, un bai d'Amérique du Sud à la crinière et à la queue fluides, qu'il avait monté en Espagne. Bien élevé, ce cheval était réservé à l'Île d'Elbe pour Marie Louise.
  7. Emir, un Turc à la crinière et à la queue noires et flottantes, qui avait été utilisé en Espagne et en 1814.
  8. Gonzalve, un grand bai andalou, à crinière et queue flottantes, monté par Napoléon en Espagne et en 1814 à Brienne.

29 mai 1814 – Ce jour de la San Cristino, saint patron de Portoferraio, se tient une réception en l'honneur de l'Empereur. Il se rend à la grand-messe le matin, dans sa calèche dorée tirée par six chevaux, avec postillons et piqueurs, son escorte de lanciers et son état-major à cheval dans leurs plus beaux uniformes ; la Garde borde la route. Le soir, il se rend au bal que lui offre la commune de Portoferraio, éclairé par une grand spectacle de flambeaux.

31 mai 1814 – Pauline Bonaparte, en route pour Naples sur la frégate napolitaine Laetitia, rejoint pour deux jours son frère à l'île d'Elbe.

1er juin 1814 – Pauline lui ayant fait part qu'elle souhaitait acquérir un petite propriété à la campagne, Napoléon va inspecter un domaine situé sur les pentes du mont San Martino, à cinq kilomètres au sud-ouest de Portoferraio. Ce vallon calme et isolé, avec des collines de chaque côté et à l'arrière, offre de belles vues sur la ville et le port. Les seuls bâtiments sont une maison de paysan et un hangar. Il est convenu que Pauline achète le domaine, et que durant son absence Napoléon lui fasse construire une maison de campagne [42.78556, 10.28040]. Pauline confie à Bertrand un collier de diamants, dont la vente doit couvrir les frais d'acquisition.

4 juin 1814 – A Porto-Ferrajo , Napoléon déjeune avec la commandant de la Dryade, puis au soir honore de sa présence un bal donné à bord du Curaçao, frégate anglaise sous le commandement du capitaine Towers, pour l'anniversaire du roi George. Ce même jour, le colonel Vincent quitte l'île pour la France.

23 juin 1814 – L'acquisition du domaine de San Martino est conclue avec les propriétaires, la famille Manganaro, pour la somme de 56 000 francs. La rénovation de la maison peut dès lors s'engager.

26 juillet 1814 – Napoléon écrit à Bertrand afin de donner ordre à l'architecte d'achever sous quatre jours les trois chambres de la villa de San Martino qui donnent sur Portoferraio, et d'envoyer au cinquième jour le mobilier, cela pour pouvoir disposer de ce pied-à-terre.

Villa de San Martino
La villa de San Martino

31 juillet 1814 – Napoléon va séjourner à San Martino durant quelques jours, le temps que les travaux de surélévation du toit des Mulini s'effectuent.

2 août 1814 – Madame Mère rejoint son fils à l'île d'Elbe depuis Livourne [Livorno], à bord du navire anglais Grasshopper. Toutefois Napoléon, qui l'attendait la veille, est à San Martino et il ne la verra que le lendemain. Elle s'installe à la maison Vantini, au n° 12 de la rue Ferrandini [42.81576, 10.33250], à proximité du Palais.

15 août 1814 – On célèbre l'anniversaire de Napoléon dans toute la principauté. Des courses de chevaux sont organisées sur la route de San Martino, que lui-même préside.

23 août 1814 – Napoléon part s'établir à l'ermitage de la Madonna del Monte  [42.79103, 10.15260], niché dans une forêt de châtaigniers et de chênes verts, sur les contreforts du Mont-Capanne (point culminant de l'île, altitude 1019 m), à 1,5 kilomètre à l'ouest du village de Marciana. Il y a fait installer une tente avec un lit de camp.

De là, l'Empereur jouit d'une vue sur son île natale, ainsi que, à l'opposé, sur le port de Marciana Marina, connu depuis l'antiquité pour son activité de pêche au thon.

Marciana Marina, sur la côte nord de la partie occidentale de l'île
Marciana Marina, sur la côte nord de la partie occidentale de l'île d'Elbe

Non loin de là, sur la route menant au village de Poggio, Napoléon aime aller se désaltérer à la source nommée Fonte dell'Acquaviva [devenue depuis, comme il se doit, la source Napoléon] [42.78461, 10.17793].

26 août 1814 – Madame Mère rend visite à son fils à la Madonna del Monte, et déjeune avec lui sous la tente.

1er septembre 1814 – Maria Walewska, son fils Alexandre mais aussi sa soeur Émilie Laczinska et son frère le colonel Teodor Laczinski arrivent sur l'île. Le débarquement a lieu dans la soirée à San Giovanni [42.802123, 10.32368], face à la rade de Portoferraio. Napoléon les installe au presbytère du monastère, lui-même restant sous sa tente (quand il ne va pas, nuitamment, rejoindre son ancien amour polonais, si on en croit le Mamelouk Ali). D'après ce fidèle serviteur, Maria restera une douzaine de jours sur l'île (ce qui est contredit par les multiples sources faisant embarquer Maria le 3).

2 septembre 1814 – Napoléon passe la journée avec Maria. Ils promènent aux alentours, s'arrêtant à la chapelle de San Cerbone [Romitorio di San Cerbone] [42.78161, 10.16839], sur un sentier qui conduit au Mont Capanne. Mais l'idylle ne peut se renouer : Napoléon, qui reste marié à Marie-Louise, ne peut se permettre au vu et au su des cours européennes, dont il dépend somme toute, et alors que le Congrès de Vienne s'annonce, une telle relation extra-conjugale. D'autant plus que des rumeurs sur l'île font état que ce sont l'Impératrice et le Roi de Rome qui ont débarqué ...

3 septembre 1814 – En soirée, Maria Walewska quite l'ermitage pour appareiller à Marcia Marina, mais une tempête qui fait rage l'en empêche, et elle doit traverser toute l'île jusqu'à sa partie orientale pour pouvoir embarquer dans l'anse de Mola [42.76021, 10.38609] à Porto Longone [de nos jours Porto Azzurro].

Porto Longone <i>[Porto Azzurro]</i>, sur la côte orientale de l'île
Porto Longone [Porto Azzurro], sur la côte orientale de l'île d'Elbe

5 au 24 septembre 1814 – Napoléon élit résidence à la forteresse Saint-Jacques [Forte di S. Giacomo, de nos jours un établissement pénitentiaire] [42.76544, 10.40273], ancienne citadelle espagnole qui domine Porto Longone.

28 septembre 1814 – Le chevalier François Antoine Mariotti, consul de France à Livourne en poste depuis le 31 juillet et à la solde de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, qui dispose sur l'île d'informateurs, rapporte que des préparatifs de départ s'effectuent à Portoferraio (il réitèrera cette information le 25 novembre) ; il fait également part de ses difficultés à faire enlever Napoléon, ainsi qu'il semble en avoir été chargé.

10 octobre 1814 – Toujours sans nouvelles de son épouse depuis le 10 août, ni de son fils depuis six mois, Napoléon écrit par l'intermédiaire du chevalier Colonna, l'un des chambellans de sa mère, au Grand-Duc Ferdinand III de Toscane, oncle de Marie-Louise. Il lui demande de bien vouloir servir d'intermédiaire pour des lettres hebdomadaires, et les réponses en retour de Marie-Louise et de la comtesse Louise Charlotte Françoise de Montesquiou, gouvernante du Roi de Rome. Cette lettre, aussitôt transmise à François Ier par son frère, restera sans réponse.

1er novembre 1814 – Pauline Bonaparte vient s'installer à l'île d'Elbe. Napoléon lui octroie les appartements des Mulini qu'il avait destinés à Marie-Louise, conscient à présent que cette dernière ne le rejoindra pas.

12 novembre 1814 – Le colonel Campbell fait état dans son rapport des difficultés financières de Napoléon, qui vit au-dessus de ses moyens tant que les ressources attendues n'entrent pas. Il se montre perspicace et même visionnaire en estimant que, faute d'assurances de ce côté, je pense qu'il est capable de passer à Piombino avec ses troupes, ou toute autre excentricité.. Il réitèrera ces alertes sur la situation pécuniaire de l'Empereur les 18 novembre, 3 décembre, 10 décembre, 27 décembre, cela jusqu'en février ...

30 novembre 1814 – Débarque à Portoferraio, en compagnie du comte milanais Antonio Litta Biumi venu proposer à Napoléon d'organiser une insurrection en Italie, un individu se présentant comme marchand d'huile [cela restera son surnom, son identité n'ayant jamais été découverte] qui va s'installer en ville et devenir un redoutable espion au service de Mariotti. Il va en particulier régulièrement faire part de projets et préparations de départ de l'Empereur.

1815

8 janvier 1815 – Un bal est organisé à 21 heures, suivi d'un souper à minuit. Selon les instructions de Napoléon à Bertrand, d'autres seront planifiés pour les 15, 22 et 29, ainsi que durant le carnaval qui doit avoir lieu jusqu'au 8 février.

12 ou 13 janvier 1815 – Le brick L'Inconstant, navire "amiral" de la flotte elboise sous le commandement du lieutenant de vaisseau François-Louis Taillade, de retour de Civitavecchia avec une cargaison de blé, est victime d'une voie d'eau et s'échoue en arrivant dans Porto Ferraio, dans la baie de Bagnajo [Bagnaia] [42.81063, 10.36305]. Les avaries vont nécessiter six semaines de réparation en cale sèche.

12 février 1815 – Hugues Bernard Maret envoie à Napoléon 1er un émissaire, le baron Pierre-Alexandre-Edouard Fleury de Chaboulon, ancien auditeur au Conseil d'Etat, sous-préfet de Reims en 1814, pour lui conseiller de hâter son retour en France afin de profiter de l'impopularité des Bourbons.

16 février 1815 – Le colonel Campbell quite l'île d'Elbe pour Livourne à bord de la frégate Partridge, commandée par le capitaine John Miller Adye. Campbell va à Florence [Firenze] rendre visite à sa maîtresse, la comtesse Miniaci. Il signale qu'il ne sera pas encore rentré pour aller au bal organisé par Pauline Bonaparte le 26 février, aussi Napoléon en déduit que lui-même doit quitter l'île au plus tard d'ici cette date. Sitôt Campbell parti, l'Empereur fait mettre l'embargo sur tous les bâtiments qu'abritent les ports de l'île.

18 février 1815 – L'Inconstant fait des tests en mer mais une voie d'eau persiste.

24 février 1815 – Napoléon fait savoir ses intentions à Joachim Murat et lui conseille d'attendre avant d'entreprendre une action. Le même jour la Partridge arrive à Portoferraio, sans Campbell toutefois. Celui-ci, inquiet suite à des rumeurs de départ de Napoléon, a demandé au capitaine Adye de venir en inspection. Adye, n'observant rien d'anormal, repart aussitôt. Pourtant toute la flotte des bateaux rassemblés dans la rade de Portoferraio est fin prête, mais, pour faire diversion, les soldats de Napoléon sont affairés à entretenir les espaces verts ...

25 février 1815 – Trois proclamations au peuple français, datées du 1er mars, sont imprimées sur l'île d'Elbe. Au soir, après le dîner, Napoléon informe sa mère de son départ le lendemain.

26 février 1815 – Napoléon quitte l'île d'Elbe , à neuf heures du soir, sur le brick L'Inconstant, repeint quelques jours avant afin qu'on puisse moins facilement l'identifier une fois en mer. Il est armé de 26 canons (au lieu des 18 habituels), fort d'un équipage de 60 marins, commandé par deux Corses, le capitaine Antoine-Marc Forcioli  et son second Jean-Mathieu Sari. À son bord sont montés les proches de l'Empereur ainsi que 400 soldats de sa garde.

Six autres navires l'encadrent :

  1. l'aviso L'Étoile, un chébec à trois mâts de 83 tonneaux, armé de 6 canons
  2. la spéronade - un trois-mâts maltais à fond plat - La Caroline
  3. le chébec Saint-Joseph, appartenant au signor Tonietti, négociant elbois
  4. les felouques L'Abeille et La Mouche, qui sont ordinairement des transporteurs de minerais à Rio Marina
  5. la polacre - trois-mâts mélangeant voiles carrées et voiles latines - Saint-Esprit, jaugeant 200 tonneaux, opportunément arrivée à Porto-Ferrajo le 20 février, et dont Napoléon a fait décharger la cargaison pour pouvoir y transporter une centaine de lanciers polonais, montés à bord avec leur harnachement mais sans monture.
Une fois en mer, ces navires naviguent isolément, afin de ne pas attirer l'attention des nombreux vaisseaux croisant sans cesse entre la Corse et l'Italie.

Au total, ce sont environ 1150 hommes qui suivent Napoléon dans l'extraordinaire aventure qui débute, le Vol de l'Aigle :

  1. Vieille Garde (grenadiers, chasseurs, marins, canonniers) : 600 hommes
  2. Lanciers polonais : 100 hommes
  3. Bataillon corse : 300 hommes
  4. Gendarmes (principalement Italiens et Corses) : 50 hommes
  5. Civils (dont serviteurs et domestiques) : 100 hommes

27 février 1815 – Au matin, vers 8 heures, L'Inconstant est proche de l'île de Capraia [43.03838, 9.82047], au sud-est de celle-ci. Les bateaux susceptibles de mettre à mal la traversée sont alors :

  1. La Partridge, toujours sous les ordres du capitaine Adye, qui est à quatre heures de Livourne, naviguant à faible allure. Campbell, très inquiet, est à bord et a donné l'ordre au commandant Adye de tirer s'il croise Napoléon sur son brick avec troupes et vivres.
  2. Un brick français, le Zéphyr, commandé par le capitaine Andrieux, qui s'approche de Capraia par l'ouest, en route pour Livourne après avoir pris une compagnie de soldats en Corse.
  3. La frégate française Fleur-de-Lys, commandée par le chevalier de Garet, qui se trouve près de Capraia, au nord-ouest, sur sa route habituelle de surveillance de navires transportant des recrues de la Corse à l'île d'Elbe.
  4. La frégate française Melpomène qui effectue la même croisière au sud-ouest de Capraia. Ce vaisseau est donc possiblement près de L'Inconstant et ses six navires accompagnateurs.

Vers 10 heures on aperçoit au nord les voiles de la Partridge, mais cette dernière vire à babord et s'éloigne.

Peu après 14 heures ce sont les voiles des frégates Fleur-de-Lys et Melpomène qu'on voit à contre jour vers Capraia, mais elles restent à distance.

La rencontre la plus dangereuse a lieu vers 19 heures : le Zéphyr croise la route de L'Inconstant, à bord duquel Napoléon s'est couché comme la plupart de l’équipage derrière le pavois. Alors qu'ils sont bord à bord, le commandant en second Taillade échange quelques mots avec le capitaine Andrieux qui commande le Zéphyr, et qu'il connaît bien. L'alerte est passée.

28 février 1815 – Après une nuit sans vent, la brise devient favorable et, sous très beau temps, on file cap à l'ouest.

1er mars 1815 – Le débarquement  s'effectue dans l'après-midi à Golfe-Juan , entre Cannes et Antibes. À 17 heures, il est terminé.


Carte de l'île d'Elbe (première moitié du XIXe siècle)

Carte de l'île d'Elbe

Crédit photos

  Photos par Didier Grau.
  Photos par Michèle Grau-Ghelardi.
  Photos par Marie-Albe Grau.
  Photos par Floriane Grau.
  Photos par des personnes extérieures à l'association Napoléon & Empire.
Nous remercions chaleureusement Mme Gisèle Dubois-Devichi, qui nous a grâcieusement fourni plusieurs de ses photos de la Palazzina dei Mulini, et M. Ugo Valfer, pour sa photo aérienne de l'île d'Elbe.

Sources

Cette page a comme sources principales les travaux successifs d'Albert Schuermans, Louis Garros et Jean Tulard, ainsi que les écrits de Norwood Young, du Docteur Guy Godlewski et de Roger Iappini.